Texte d’une tribune publiée sur le journal La presse du 12 novembre 2015:
Comme de très nombreux citoyens de notre pays, je souffre de la situation que vit votre parti depuis de longs mois, situation qui a atteint son paroxysme ces dernières semaines. Je vais éviter de rappeler ici les derniers et tristes soubresauts auxquels vous devez faire face, car ces derniers sont suffisamment étalés sur les colonnes de nos journaux, suffisamment présents dans les discussions de bureau et de café, dans les couloirs des administrations et les chancelleries étrangères.
Bien que n’étant pas membre adhérent à votre parti, je me sens entièrement concerné. Et je ne suis pas le seul. Je fais partie de ces très nombreux Tunisiens qui, sans être membres du parti, ont espéré, voulu et contribué à sa réussite, parachevant cet accompagnement en portant la candidature du président du parti au second tour de la présidentielle. Cette mobilisation à vos côtés était logique, car votre rêve initial était le nôtre, car votre projet de société est toujours le nôtre mais aussi parce que de nombreux dirigeants et cadres du parti au niveau national ou régional comme de très nombreux autres sympathisants comptent parmi nos amis les plus proches.
Mais ce soutien tire aussi ses raisons de l’espoir que vous avez suscité de créer une grande formation progressiste ouverte sur les différentes sensibilités de ce vaste élan moderniste pour démarrer enfin les nombreuses réformes dont le pays a tant besoin.
Pour toutes ces raisons, vous l’avez compris, votre formation n’est pas uniquement la vôtre, et votre crise aujourd’hui n’est pas seulement la vôtre. Vous me permettez donc de m’exprimer pour le reste de ma lettre sur NOTRE crise commune.
Nous savions tous que Nida avait des fragilités intrinsèques à sa construction trop rapide mais ô combien nécessaire. Construction qui a abrité des courants et des personnalités de sensibilités et de parcours politiques différents, mais réunis autour de trois principaux objectifs communs : la nécessité d’un rééquilibrage des forces politiques, la défense d’un modèle de société progressiste et le démarrage de réformes aussi vitales qu’urgentes. Ce sont ces trois objectifs qui ont permis à tous de dépasser leurs différences, voire leurs divergences, et de se lancer dans les campagnes législatives et présidentielle de 2014 avec le succès que l’on connaît.
Aujourd’hui, soit un an après les succès électoraux du parti, si la crise que nous vivons est déjà plus que regrettable, sa non-résolution peut devenir dramatique pour le pays tout entier. Car si on ne trouve pas de résolution rapide, le rééquilibrage des forces politiques n’aura été qu’une période éphémère, le modèle de société progressiste va se trouver de nouveau menacé et les réformes entamées risquent d’être retardées avec le coût social et économique que cela signifie.
Bien entendu, chacun de vous, à la direction du parti, a ses arguments, ses justifications. A vous entendre, vous avez tous raison, à vous voir vous déchirer vous avez tous tort. L’histoire, de toutes les façons, ne pourra que vous juger, que nous juger tous très sévèrement ; certains pour s’être entêtés dans des postures rigides et tous les autres pour ne pas avoir su réconcilier les parties.
A part vous exprimer mon trouble et mes craintes, je voulais aussi et surtout vous communiquer une lecture complémentaire de ce qui nous arrive et une invitation à y réfléchir pour tenter de trouver une sortie de crise.
On a entendu toutes sortes d’explications à la crise : on nous a parlé d’ambitions personnelles. Elles existent certainement mais les ambitions personnelles ne sont jamais en elles-mêmes le problème. Leur existence est même un moteur nécessaire en politique et il est sain qu’un parti rassemble de nombreuses ambitions.
On nous a aussi parlé de différence de sensibilités politiques au sein du parti. Mais cette autre explication ne me suffit pas non plus. Là aussi, ce n’est pas le plus grave car les grands partis qui se veulent populaires doivent, par définition, être capables de contenir des courants différents tant que ce qui les rapproche reste plus fort que leurs différences.
L’autre explication qui est de dire que des parties extérieures s’activent à faire échouer Nida est possible, mais ce n’est pas une explication valable et je vous invite, je nous invite à ne surtout pas tomber dans la facilité de chercher des boucs émissaires pour nous détourner de nos propres responsabilités.
Non, ces explications ne peuvent à elles seules —et même additionnées— expliquer toute la dimension de cette crise. Car l’autre explication manquante que je vois pourtant clairement devant moi est le manque de réflexes démocratiques dans nos rangs. Je le dis avec gravité car si j’ai moi-même longtemps servi un pays, un Etat et mon peuple avec la conviction que le sous développement devait avant tout être terrassé au plus vite, je l’ai fait sous deux chefs d’Etat qui affichaient d’autres priorités que la démocratie. J’assume pour ma part cette réalité et je ne veux fuir aucun reproche ni responsabilité.
Mais reconnaître avoir longtemps servi mon pays pendant des périodes où la démocratie fut étouffée ne signifie pas que je ne reconnais pas aujourd’hui que les principes démocratiques récemment acquis au niveau de l’Etat sont une chance historique pour le pays, ni que les réflexes démocratiques doivent dépasser les seuls rouages et institutions de l’Etat et s’étendre au cœur même des partis et des mentalités de tous les citoyens.
Mes chers amis,
Si, comme pour la plupart de mes compatriotes, janvier 2011 fut le début d’une période de difficultés économiques, sociales et sécuritaires sans précédent, elle fut aussi et surtout l’amorce d’une nouvelle période de libertés pour le pays. Période durant laquelle s’est forgée en moi la conviction que la stabilité de ce pays est indissociable de la construction d’une société démocratique et de partis démocratiques où les libertés et les opinions des uns et des autres sont protégées par tous. Conviction que le passage en force n’a plus d’avenir et que seuls le dialogue, les échanges, la recherche de consensus (qui fait déjà partie de notre culture commune et dont le pays tout entier vient d’être récompensé par le Nobel) et, in fine, le recours à des élections libres peuvent aboutir à des résultats solides et prennes.
Croyez-moi. Mon message est plus qu’une conviction, c’est un appel du fond du cœur d’un homme désintéressé et à la longue expérience politique qui vous l’adresse. Soyez au rendez-vous des aspirations de notre peuple à qui nous devrons toujours tout. Prenez exemple sur Béji Caïd Essebsi, fondateur de votre parti et aujourd’hui Président de tous les Tunisiens, qui a réussi à vous rassembler, à nous rassembler au-delà de nos différences et même dans les moments les plus critiques.
Faites de même aujourd’hui ! Si ce parti aspire à demeurer un parti de pouvoir, comme je le lui souhaite, que ses dirigeants agissent, à l’instar de Béji Caïd Essebsi, comme des rassembleurs et des démocrates en commençant par unir les rangs de leurs partis par le dialogue et le respect.
Cessez de vous abîmer les uns les autres. Le pays a besoin de chacun de vous, sans exception. Apprenons à travailler ensemble comme le pays tout entier est en train d’apprendre à le faire avec courage malgré ses différences.
Comme notre peuple l’a déjà compris, comprenons que votre avenir, que notre avenir doit se construire non pas malgré nos différences mais grâce à elles.
Votre ami
Par Abderrahim Zouari (Ancien candidat à la présidentielle)