Tunisie – ISIE : Des experts excluent la solution miracle Par Hassen Khiari

Dans moins de deux semaines (22 juillet 2014), l’opération d’inscription aux élections aura pris fin. Quelque 150 mille inscrits ont été recensés jusqu’à jeudi, un taux bien faible, très éloigné de l’objectif fixé au démarrage de l’opération, le 23 juin dernier.

L’ISIE tablait sur près de la moitié du corps électoral qui s’était abstenu lors du scrutin du 23 octobre 2011, soit pas loin de quatre millions de personnes. Aujourd’hui, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) met tout en oeuvre pour remédier à la défection massive vécue en 2011 et mobiliser de nouveaux électeurs dans un climat de crise de confiance que seule une stratégie de communication ciblée et mûrement réfléchie est susceptible de dénouer.

Une stratégie de communication en trois axes

L’experte en communication et membre de l’ISIE, Khamayel Fenniche a affirmé que, contrairement à ce qui fut le cas en 2011, la tâche assignée à l’instance sur le plan de la communication et de la sensibilisation est, cette fois, doublement difficile. Et pour cause, explique-t-elle : il s’agit de « toucher la frange des électeurs restée réfractaire pendant la période où il y avait le plus d’engouement à savoir le scrutin de 2011 ». Toute la difficulté réside, selon elle, dans la manière d’aborder le Tunisien, de plus en plus méfiant de la classe politique et pour qui tout le monde se ressemble désormais.

Et d’ajouter : « En se référant aux études faites depuis le 23 octobre 2011, nous avons pu mettre en place une stratégie de communication en trois axes où tout a été pensé et rien n’a été laissé au hasard ». Concernant le premier axe, il s’agit de privilégier les moyens classiques et notamment le recours aux médias de masse (chaînes de télévision, radios, campagne d’affichage,..etc) afin de toucher le plus grand nombre possible de la population cible.

Parallèlement, une campagne de « SMSing » a été lancée pour conforter la sensibilisation grand public qui n’a pas eu finalement l’envergure souhaitée par l’instance. L’ISIE a ainsi opté dans ses spots audiovisuels pour un texte émotionnel en choisissant de diffuser un message intentionnellement triste, a-t-elle noté. « Il fallait que le message à diffuser aille droit au cœur. Un message informatif qui inciterait l’électeur à s’inscrire plutôt que de le pousser à le faire », a précisé l’experte. Le deuxième axe est celui de la communication digitale.

Il s’agit, aux dires de Khameyel Fenniche, de passer par les réseaux sociaux pour aller vers les jeunes. Les actions à entreprendre consistent, alors, à lancer des applications facebook et à dynamiser la page de l’instance sur le réseau social pour attirer les jeunes, a-t-elle expliqué, indiquant que c’est chez cette frange que le taux d’abstention le plus élevé a été enregistré lors du scrutin de 2011.

Un fort taux de résistance a, également, été enregistré, en 2011, dans les zones rurales et notamment les plus reculées d’entre elles. Partant de ce constat, l’ISIE a prévu un troisième axe dans sa stratégie dédiée aux zones reculées, voire isolées. A ce niveau, Mme Fenniche a confié qu’une campagne de proximité a été lancée conjointement avec la société civile dans différentes régions du pays suivant un plan de déploiement géographique pré-défini.

Interrogée, par ailleurs, sur les limites de cette stratégie de communication et sur un éventuel plan B pour pallier les difficultés, Fenniche a assuré que la stratégie retenue ne peut que réussir et que pour mettre toutes les chances de son côté, l’ISIE a pris l’initiative de renforcer sa campagne SMSing en multipliant par six le nombre des textos diffusés. L’ISIE a, également, opté pour l’événementiel à travers le ratissage quotidien des lieux publics et autres quartiers populaires à forte concentration de jeunes durant la plage horaire nocturne et en étant présente dans les festivals et les foires voire les journées de l’orientation des bacheliers.

La communication n’est pas une solution miracle

Pour le politologue, universitaire et membre de l’ancienne ISIE, Larbi Chouikha, le plus gros problème de la communication publique aujourd’hui a trait au rétablissement de la confiance. 50 pc de la réussite du processus électoral repose sur la confiance du peuple voire de la population électorale et sur son enthousiasme à contribuer au succès de ce processus, a-t-il fait remarquer, notant que « la motivation passe par la conviction ».

Selon lui, toute la question est de savoir s’il y a eu ou pas rétablissement de la confiance.

S’agissant du recours aux moyens classiques de la communication publique pour canaliser cet enthousiasme et motiver l’implication du peuple, Chouikha préconise de faire preuve d’imagination. « C’est un défi à notre intelligence », a-t-il lancé. Le fait est que trouver les moyens de passer outre le classicisme de la communication publique sans pour autant se priver de l’atout que constituent les médias de masse est une équation difficile à réaliser. Sur ce constat Chouikha se prononce en faveur du procédé de la communication de proximité et du recours à l’événementiel.

Corroborant cet avis, l’enseignant chercheur à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI) et expert en sciences de la communication, Sadok Hammami estime qu’en Tunisie, on a tendance à faire de la communication une solution magique à tous les problèmes.

Or, explique-t-il, il y a un grave problème de dépolitisation et de désaffection à laquelle la communication classique ne peut y remédier. Aujourd’hui, cette crise de confiance est profonde, le lien politique est brisé et les Tunisiens sont convaincus que les hommes politiques sont incapables de changer leur vie voire améliorer leur situation. Il s’agit là d’un indicateur de l’Etat de santé de la nouvelle démocratie, a ajouté l’expert. Et d’ajouter : « la nouvelle classe politique s’est positionnée en termes de promesses.

Elle s’est, de ce fait, présentée comme alternative à l’ancien régime pour tomber, ensuite, dans la dépolitisation dont nous subissons les conséquences ». « La situation est extrêmement grave et les Tunisiens semblent être en désespoir de cause face à l’élite politique. Il est désormais trop tard pour faire de la communication », a-t-il estimé.