“Moi Cendrillon” ou l’entrée en jeu des Marionnettes téléguidées

Il est révolu le temps où les marionnettes n’étaient que de simples poupées de chiffons suspendues au bout de ficelles gesticulant au rythme d’un manipulateur caché, à l’arrière plan, dans la pénombre.

Les marionnettes sont désormais souvent conçues à taille humaine et acquièrent, grâce aux nouvelles technologies de l’information, une autonomie qui leur permet d’être de plus en plus proches de nous. Le nouveau spectacle « Moi Cendrillon », annoncé par le centre national des arts de la marionnette pour la rentrée, fin novembre prochain, vient consacrer cette nouvelle démarche.

« Des techniques de téléguidage et de nouvelles matières seront utilisées, pour la première fois, dans la conception des poupées où le réel et l’imaginaire s’enchevêtrent pour reconstituer notre vécu », explique à l’agence TAP Hassen Sallami, metteur en scène d’un texte écrit par Hafedh Mahfoudh.

Dans cette nouvelle création, il ne s’agit pas exactement de Cendrillon, héroine du conte de fée qui a bercé l’enfance de toute jeune fille, mais d’une tentative pour reproduire le mythe dans une version revisitée où les poupées à taille humaine côtoieront le personnage principal “Cendrillon” qui elle sera “véritablement humaine”, annonce M. Sallami.

//Les marionnettes se modernisent et s’embelliessent

Les marionnettes, qui avaient un physique souvent déformé, les yeux faits de clous ou de punaises de couleur et le nez démontable, ont évolué pour s’apparenter de plus en plus aux poupées guignols grimaçantes célèbres pour avoir incarné des personnages souvent acteurs de la vie publique.

“La marionnette emprunte aujourd’hui certaines des techniques utilisées dans les guignols puisqu’elle peut désormais faire bouger sa mâchoire et ses yeux grâce à un système de téléguidage», note Hassen Sallami. Ces nouvelles techniques seront à l’honneur dans sa nouvelle création, a-t-il assuré.

La fabrication des poupées guignols, un domaine encore méconnu en Tunisie, est porteur de grandes opportunités. L’exploitation de certaines de ces nouvelles techniques dans l’art de la fabrication des marionnettes ouvrira la voie vers la fabrication des poupées guignols. Ces créatures en latex très prisées aujourd’hui dans le monde du spectacle et dont nous avons l’habitude de les recevoir pour égayer les traditionnelles soirées satiriques du Ramadan.

Le développement de ces nouvelles techniques de fabrication des marionnettes, en intégrant de nouvelles technologies et de nouvelles matières, permettra de surmonter les freins financiers qui se dressent actuellement devant la profusion de la présence des poupées guignols en raison du prix extrêmement élevé de ces « créatures » importées de l’étranger et dont le prix dépasse pour certaines les 70 mille dinars. Le centre national des arts de la marionnette, seul espace dédié à cet art, s’est depuis quelques années inscrit dans la perspective de l’innovation.

Le centre compte à son actif la fabrication, dans ses ateliers, de deux grandes mascottes « Aladin » et un dinosaure mais “les possibilités peuvent être meilleures”, souligne avec optimisme Mme Hela Ben Saad, directrice du centre depuis 2011.

Des ateliers d’initiation aux nouvelles techniques qui envahissent désormais le monde pittoresque et imaginaire des marionnettes sont organisés pour préparer les marionnettistes, ou manipulateurs, aux défis qui pointent à l’horizon. « Il existe une riche palette d’arts qui entourent le monde de la marionnette tels la peinture, le design … autant de savoir-faire qui sont au service de la poupée. C’est un monde en pleine innovation et il est important de s’inscrire dans cette perspective pour le bonheur des enfants tout autant que des adultes», a encore dit Mme Ben Saad.

Une école d’été sur les techniques scéniques avec une formation théorique et pratique sur les techniques de l’éclairage est prévue du 21 au 26 juin, a-t-elle expliqué. Des formations sont aussi organisées au profit des manipulateurs qui tout en donnant vie à la poupée « lui insufflent aussi une personnalité et son être particulier », évoquant un atelier de formation sur le thème « corps et marionnette », animé, fin mai dernier, par le danseur chorégraphe Nejib Ben Khalfallah.

« Nous organisons chaque mercredi un atelier sur le corps. Les manipulateurs doivent avoir une bonne condition physique pour pouvoir supporter des postures qui sont des fois assez éprouvantes”, explique encore Mme Ben Saad.

//Des locaux vetustes et exigus

“Les perspectives d’innovation et de créativité sont grandes mais l’handicap reste l’exigüité de l’espace. Nous ne disposons ni de magasin pour stocker, ni de salle de répétition au centre”, se désole Mme Ben Saad.

“C’est un espace pour l’enfant, l’adulte et toute la famille qui mérite d’être développé”, a-t-elle encore noté, évoquant les débats qui sont engagés à la fin de chaque représentation entre spectateurs de différentes générations.

Malgré les efforts de la direction du centre pour donner vie et insuffler du charme à cet espace d’animation, cette institution peine à trouver un chemin pour survivre à l’état de délabrement visible à vue d’œil des locaux de ce vétuste établissement coincé entre deux immeubles à la rue de liberté à Tunis.

En Tunisie, où l’art de la marionnette, remonte au début du siècle, les marionnettes restent dans une certaine mesure marginalisées malgré le rôle ludique et culturel auquel elles sont associées. En témoigne l’arrêt, depuis deux ans, de cet enseignement à l’Institut Supérieur des Arts Dramatiques (ISAD), dont on annonce la reprise cette année.

“A notre arrivée, il ya deux ans dans ces locaux, la situation était pire. On a essayé de restaurer un tant soit peu les poupées qui avaient survécu au délaissement”, témoigne encore Mme Ben Saad. “La plus vielle poupée conservée au centre national des arts de la Marionnette est âgée de 34 ans alors qu’on aurait pu avoir une poupée centenaire”, s’était-elle acclamée.

Les origines du théâtre de marionnettes en Tunisie remontent à 1891, lorsque le premier “castelet” fût installé au café de la Marine, à l’angle de la rue de Grèce à Tunis, avant d’être transféré l’année suivante au “grand glacier” de l’avenue de France. Les historiens notent aussi l’engouement des tunisois, à cette époque, pour “l’opéra dei Pupi”, ou marionnettes italiennes, selon l’historien du théâtre tunisien, Moncef Charfeddine, dans son livre “deux siècles de théâtre en Tunisie”.

Loin d’être un simple lieu de divertissement ou d’animation pour enfants, le centre dont la création en 1993, vient couronner l’itinéraire de l’ex- troupe de théâtre de la marionnette de Tunis fondée en 1976, “est une institution à caractère référentiel et joue un rôle de première ligne dans l’intégration des techniques et les nouveaux moyens d’expression”, renchéri Mme Ben Saad. Elle cite les initiatives lancées par le centre à travers les régions en organisant des ateliers de fabrication de marionnettes, dont celles menées en mars dernier à Douar Hicher et Kalaat El Andalous en coordination avec la délégation culturelle de la Manouba ou encore à l’espace culturel privé de Guaboudia, à la Chebba (Mahdia).

“Il est nécessaire de poursuivre cette réflexion sur l’innovation et l’intégration des nouvelles techniques et technologies dans l’art de la marionnette et de suivre le rythme de modernisation soutenu que connait cet art dans le monde », relève Mme Ben Saad qui ambitionne d’organiser l’année prochaine un festival de l’art de la marionnette où il y aura une place de choix pour la réflexion sur les nouvelles techniques, technologies et expériences dans ce domaine.