Les événements du Mali et ceux encore plus proches de nous en Algérie avec la guerre déclarée contre les groupes djihadistes, qui ont réussi à prendre le nord du Mali comme base de leur installation dans ce qu’ils appellent le «Maghreb islamique», nous font tous poser des questions très pressantes sur l’évolution des islamistes vers la violence armée et «le jihad» même contre les citoyens de leurs propres pays.
Nous sommes en droit de nous poser ces questions car, d’abord nous avons un parti islamiste au pouvoir même s’il ne prône pas le Djihad ouvertement, nous avons également des groupes salafistes qui, en majorité, considèrent la population tunisienne comme non croyante, et du coup ils peuvent facilement -et ils l’ont fait- prendre les armes pour nous remettre tous sur le bon chemin.
D’ailleurs, les forces de sécurité ont révélé cette semaine l’existence des cachettes et de dépôts d’armes dans le gouvernorat de Médenine après les accrochages et les poursuites des groupes armés dans la région de Fernana à Kasserine, et après tous les événements que nous connaissons à Rouhia puis à Bir Ali Ben Kahalifa en 2012.
Ces informations n’arrangent en rien le climat déjà délétère dans notre pays, caractérisé par la poursuite des agissements des extrémistes de tout bord sur la scène publique. L’impact de la campagne de l’armée française au nord du Mali ne s’est pas fait attendre, et voilà que l’ambassade de France déconseille à ses ressortissants de fréquenter le sud tunisien et surtout les régions frontalières, celles où le tourisme saharien est en pleine haute saison…
Mais au-delà de l’événementiel dans ce registre, c’est surtout le débat sur cette idéologie violente chez les extrémistes «musulmans» qui doit aujourd’hui être ouvert sur la scène publique en Tunisie. La violence commence par l’exclusion et le refus de l’autre, et nous avons des exemples flagrants de cette exclusion avec l’incendie du mausolée de Sidi Bou Saïd dernièrement, le mausolée de Sid Ali Hachani à Menzel Abderrahmane (Bizerte) a été brûlé dans la nuit du jeudi 17 janvier), et les sorties violentes des LPR –pour Ligues de protection de la révolution- lors de la commémoration du deuxième anniversaire de la révolution.
La violence verbale est le premier stade du virement de ces individus vers la violence armée, et chaque fois que des extrémistes sont arrêtés dans des événements similaires, on retrouve le même itinéraire qui commence par la véhémence verbale et finit par les armes!
La Tunisie et les Tunisiens ont développé, au cours de l’histoire, une approche et une pratique de la religion qui se caractérisent par son ouverture et sa tolérance. L’indépendance a encore plus enraciné ces valeurs et a ajouté une dimension « d’Ijtihed» moderniste avec le Code du statut personnel (CSP) et la mise en place d’une séparation des sphères du sacré et du profane même si l’Etat est déclaré «islamique» et défenseurs des cultes.
D’autre part, une tradition «soufi» s’est enracinée dans le pays et une pratique aujourd’hui millénaire fait que chaque ville ou village du pays a son «saint» protecteur dont le mausolée est fréquenté par les croyants et vénérés par le peuple. Même Bourguiba avec son projet moderniste a dû reculer devant toute mise en cause du «maraboutisme» et des pratiques de ce qu’on a appelé «l’islam populaire».
Ben Ali s’en est même emparé pour combattre le Mouvement de la Tendance Islamique (ancêtre d’Ennahdha) au début des années 90. L’expansion de l’idéologie wahhabite, qui s’est faite à partir de l’Arabie de Ben Saoud et leurs pétrodollars, fait qu’aujourd’hui on s’attaque à ce modèle tunisien dans ses deux dimensions névralgiques, à savoir l’islam populaire et la tendance moderniste de l’Etat et son caractère «civil» pour ne pas dire ouvertement laïc!
Sur ce point, les islamistes, qu’ils soient modérés du parti Ennahdha ou extrémistes salafistes et même nahdhaouis, ne sont pas différents. Ils stigmatisent tous la pratique de l’Islam tunisien et veulent nous faire adopter le modèle des Saoudiens et sa lecture de la religion.
Ici on est devant un vrai projet de société prôné par les frères musulmans et financé par les pays du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar en tête, même s’ils ne sont pas d’accord sur le leadership.
Les djihadistes violents ne diffèrent guère des autres sauf pour leur rejet des Occidentaux, sinon ils bataillent pour les mêmes valeurs. D’où la crainte grandissante aujourd’hui de voir le pays infesté par les salafistes et autres djihadistes combattants les armes à la main et tuant tous ceux qui ne sont pas d’accord, et évidemment journalistes et leaders politiques démocrates en tête.
Alors, dans ce contexte local et régional, il nous faut absolument démontrer tous notre attachement à notre modèle et réussir cette période transitoire avec la mise en place d’un Etat démocratique et civil afin de pouvoir combattre franchement contre la violence et l’exclusion qui nous menacent et menacent les acquis de la République.
Par Ali Chetoui
Article publié sur WMC