Tunisie, Laaguili, Assassinats de Belaid, Brahmi : Le ministère de l’Intérieur pointé du doigt

L’avocat Taïeb Aguili, membre de l’Initiative nationale pour la recherche de la vérité sur les assassinats des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi a dévoilé mercredi aux représentants des médias un ensemble de données qui montreraient, selon lui, « les carences allant jusqu’à la connivence du ministère de l’Intérieur et de sa hiérarchie sécuritaire dans l’affaire des assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ».

Il est d’abord revenu sur la conférence de presse organisée le 28 août dernier par le ministère de l’Intérieur pour présenter aux médias où en étaient les investigations sur ces assassinats politiques.

Il a rappelé à ce propos que la chronologie des faits telle que détaillée au cours de cette conférence de presse couvrait la période du 6 février 2013, date de l’assassinat de Belaïd, au 25 juillet, date de l’assassinat de Brahmi. Or, a-t-il fait remarquer, des faits troublants et suspects, « passés sciemment sous silence », se sont produits avant et après.

Me Aguili a ainsi imputé au directeur général de la sécurité publique, Mustapha Ben Amor, documents à l’appui, des « omissions délibérées » destinées, à en croire ses dires, à « travestir la vérité » et passer sous silence des mouvements suspects au cours de la période qui avait précédé le premier assassinat et après celle qui a suivi le second meurtre.

Il est allé jusqu’à accuser de hauts responsables sécuritaires d’avoir laissé faire ou de n’en avoir pas fait assez pour empêcher les deux assassinats d’hommes politiques. Un certain nombre de données, a enchaîné l’orateur, prouvent que le ministère de l’Intérieur aurait pu empêcher l’assassinat du 6 février. Il est maintenant établi qu’une employée d’une agence bancaire d’El-Menzah VI a téléphoné à la police pour signaler le comportement suspect de deux jeunes circulant à bord d’une Polo.

Grâce à la plaque d’immatriculation, les vérifications effectuées ont permis de remonter jusqu’au propriétaire du véhicule qui s’est avéré être un certain Marwane Belhaj Salah, un des salafistes suspectés d’avoir assassiné Belaïd et qui était accompagné, ce jour là, du meurtrier présumé, Kamel Gadhgadhi. Et l’avocat de poursuivre sa démonstration: Le 23 janvier 2013, soit 15 jours avant l’assassinat, le commissariat de police de l’Ariara a adressé un rapport au district de la sûreté nationale de Carthage pour lui signaler le cas des deux individus suspects aux fins de lancement des procédures nécessaires.

Toujours est-il qu’aucune surveillance policière n’a été mise en place autour de l’agence bancaire en question, distante d’à peine 150 mètres du domicile du martyr Chokri Belaïd. Pour Me Taïeb Aguili, le directeur du district de la sûreté de Carthage est « soit incompétent, soit de connivence » pour ne pas avoir donné suite au rapport du commissariat de l’Ariana et pour avoir mis 45 jours pour répondre, le 8 mars 2013, à ce courrier, ne prenant même pas la peine de convoquer l’intéressé, domicilié au Kram, encore moins de l’entendre.

Le plus surprenant, toujours d’après Me Aguili, est que le suspect Marwane Belhaj Salah a continué à utiliser la même voiture mais rasé entretemps sa barbe et et changé radicalement de comportement en se mettant à fréquenter des cafés et autres établissements luxueux des quartiers huppés, autant de signes interprétés, selon les conventions jihadistes, comme annonciateurs de l’imminence d’opérations terroristes. Autre fait troublant évoqué par Aguili: Le jour de l’assassinat au soir, un groupe de policiers du commissariat de l’Ariana a cerné Marwane Belhaj Salah dans une bijouterie du Kram aux fins de l’interpeller mais a reçu l’ordre de se retirer des lieux et de renoncer à l’opération, d’après sa version.

L’avocat s’est dit déterminé à poursuivre en justice tous les responsables qui auraient concouru à cacher la vérité ou se seraient rendus coupables de désinformation au sujet des assassinats politiques. Aguila a encore soutenu qu’autant le rapport du commissariat de l’Ariana que la découverte, au cours de la même période, de réseaux actifs dans la contrebande et le stockage d’armes et l’arrestation d’éléments appartenant à des organisations terroristes prouvent que le ministère était au fait du plan d’assassinat et qu’il aurait pu l’éviter, ce qui aurait, selon lui, épargné au pays une série d’opérations terroristes, y compris l’assassinat de Brahmi et les pertes humaines du Mont Chaambi dans les rangs des agents de l’ordre et de l’armée nationale.