Réponse à Mourad Sakli, directeur du festival de Carthage

En tant qu’acteur sur la scène des Festivals en Tunisie, je me permets de vous écrire et de vous interpeller par quelques réflexions suscitées tant par votre passage au Festival International de Carthage que par vos déclarations en tant que Directeur de ce même festival.

Vous êtes musicien, musicologue, à la carrière académique et administrative bien assise, et vous tentez maintenant de poursuivre une carrière de directeur de Festival et de négociateur de contrats d’artistes, soit.

Vous avez été chargé par le ministre de la Culture de ce gouvernement provisoire d’établir un programme pour la 49ième édition du Festival International de Carthage.
Vous avez tenté -et probablement réussi- de toucher la fibre patriotique ou émotionnelle d’une élite (public et journalistes) en programmant quelques concerts pour nostalgiques et surtout en réinvitant beaucoup d’artistes habitués des lieux et à la réputation acquise qui se sont récemment produits sur la scène de ce Festival.
Cette session a rehaussé quelque peu le niveau d’un Festival et d’une culture en déclin depuis le Révolution, mais sans pour autant sortir des sentiers battus des spectacles à caractère commercial, à part quelques rares exceptions qui comme vous l’avez annoncé ont échoué.

Vous avez certainement fait de votre mieux, avec les moyens (quand même exceptionnels) du bord qui ont été mis à votre disposition, mais ce qui a attiré toute mon attention, ce sont les déclarations quelque peu fracassantes que vous avez faites à la TAP lors de la clôture du Festival.

Au lieu d’établir un bilan financier de ce Festival étatique, à savoir annoncer les montants des contrats que vous avez signé avec les artistes, les subventions reçues, le sponsoring perçu et détaillé et surtout les différentes prises en charges reçues (avec leur estimation financière), les intermédiaires avec lesquels vous avez contracté, les dépenses et non pas seulement les recettes … pour une meilleure clarté et une transparence absolue, au lieu de cela, vous annoncez à la TAP que vous avez signé 5 contrats et citez deux artistes majeurs de la scène musicale internationale qui seraient d’ores et déjà programmés pour l’année prochaine (l’estimation des deux artistes annoncés est de 2.000.000 dt hors charges, taxes et frais!).

Je n’ai rien contre votre personne, bien au contraire, mais avec tout le respect que je vous dois, je n’arrive pas à comprendre à quel titre et de quel droit cela peut-il se faire! Et est-il toujours admissible de baigner encore, deux ans après la révolution, dans le flou institutionnel, juridique et réglementaire d’un passé peu glorieux?

Expliquez-moi M. Mourad Sakli des éléments que mon entendement n’arrive pas à intégrer :

– Vous avez été mandaté pour une année (2013) ou pour deux ans (2013/2014) ?,
– Dans les deux cas, avez-vous le pouvoir administratif pour engager le Festival ? À quel titre et dans quel cadre juridique?
– Le Festival est-il constitué en structure juridique reconnue qui permette ce genre d’engagement ?
– Le Budget 2014 du Ministère de la Culture a-t il été validé par l’ANC ? Ou bénéficiez-vous d’une exemption de vous soumettre au règles de la comptabilité publique et au budget de l’État?
– Le Ministre de la Culture a-t il entériné ces transactions ?
– Avez-vous avisé et obtenu l’accord de la Banque Centrale de Tunisie de vos engagements (surtout en ces moments très difficiles que traverse le pays ?)
– Avez-vous procédé aux paiements des avances comme il est de coutume avec ce genre d’artistes ?
– Avez-vous soumis les artistes aux procédures administratives prévues par la loi ?
– Avez-vous au préalable payé taxes et impôts de rigueur avant l’annonce de ces artistes, comme le prévoit la loi ?
– Vous n’étiez pas démissionnaire de la direction de ce Festival ?

Est-ce un coup de force pour mettre tout le monde devant le fait accompli? Ce qui ne vous ressemble pas…

Je suis moi-même, entre autre acteur de la scène culturelle, en butte avec des réglementations et une législation obsolètes et handicapantes, vos réponses éclaireront notre lanterne et nous permettront de mieux comprendre ainsi la portée de vos déclarations et de vos actes. Nous saurons ainsi nous positionner dans le paysage culturel et resterons à notre place de festivals régionaux périphériques et ultra triviaux, à la marge des festivals reconnus, soutenus, favorisés et exemptés eux de toute entrave administrative et réglementaire pour l’unique gloire de leurs commanditaires!

Les difficultés que rencontrent les uns (festivals régionaux) par rapport à l’élite (Carthage) seront ainsi notre lot, puisque il y a des festivals à plusieurs vitesses et que la volonté va vers le maintien des manifestations culturelles « périphériques » à la traîne des fleurons de la Culture, que vous nous promettez de porter encore plus aux nues, et pour lesquels vous avez l’intention de renforcer les privilèges.

Comment justifiez-vous que le Ministère de la Culture et donc l’Etat, devienne le premier organisateur de spectacles du pays, ayant à sa disposition les budgets et les services nécessaires, souhaitant avoir encore plus la mainmise sur les festivals en lançant l’idée de la création d’une Agence Nationale des festivals (pour jouer un peu le rôle du fameux Comité Culturel National des années 70), entravant les autres acteurs et ne jouant aucunement son rôle de soutien à la Culture? à part consommer des spectacles importés (moins de présence de Tunisiens qui ont été exclus de l’ouverture et de la clôture), manipuler des devises sans réel contrôle, signer des contrats de gré a gré sans savoir qui est véritablement derrière …, qu’a fait cette belle institution qu’est le Festival International de Carthage pour la création artistique, pour la promotion de la culture?
Je n’ai vu pour ma part, que de l’animation culturelle, rien qu’un privé ne puisse faire… si on le laisse faire!
A-t-on besoin de recourir aux deniers publics pour de la simple « animation »?
Je vous le demande… ?

Bien à vous.

Nabil Ben Abdallah

Réaction à l’article Mourad Sakli à TAP : « L’art est une noble forme de résistance, nous ne devons pas baisser les bras contre vents et marées »