Célébration pour la première fois en Tunisie de la Journée mondiale de l’écrivain en prison : Briser le silence sur des “plumes” en danger

“A défaut d’être emprisonnés, morts ou contraints à l’exil comme en témoignent des exemples de l’histoire triste, les intellectuels sont des acteurs qui contribuent à la productivité humaine car la libération de l’esprit demeure la responsabilité primordiale de l’intellectuel” voila en bref les propos d’un “combattant de la liberté” Wole Soyinka, -fervent défenseur du militantisme intellectuel dans la lutte pour la justice, la bonne gouvernance et l’équité-, premier africain, lauréat du prix Nobel de littérature en 1986, lors de sa première visite “historique, mais passée sous silence” en Tunisie le 25 octobre 2010. Invité, à cette époque, du programme des “Eminents conférenciers” de la Banque africaine de développement (BAD), ses mots ont été tout simplement censurés.

Aujourd’hui avec le souffle de liberté, la Tunisie célèbre pour la première fois une journée dédiée aux auteurs en danger: la journée mondiale de l’écrivain en prison.

Des écrivains tunisiens jadis incarcérés…témoignent
L’initiative louable revient à “Tounes el kitab” une jeune association -présidée par l’auteure Azza Filali- qui organisera le jeudi 15 novembre au théâtre el Hamra à Tunis une manifestation à cette occasion.

En partenariat avec les caravanes documentaires, cet événement sera marqué par la projection de deux films de grande valeur historique. Il s’agit d’abord de “La vie des autres” de Florian Henkel Von Donnersmarck (Allemagne 2006), un film bouleversant et émouvant à la fois qui raconte l’histoire d’un officier de la Stasi (Ministère de la Sûreté de l’Etat, sous le régime de la république démocratique allemande, RDA) chargé de surveiller l’écrivain de théâtre Sebastian Koch et qui lors de cette mission, découvre le monde de l’art, de l’amour et de l’ouverture d’esprit et autant d’horizons qui lui étaient jusqu’alors inconnus.

Le deuxième film “Une journée d’André Arsenevitch” de Chris Marker (France, 1999) est aussi au programme. Cette oeuvre est l’un des 90 films documentaires de la série “Cinéastes de notre monde” débutée en 1966. Cette projection est un hommage au réalisateur soviétique et russe Andrei Tarkovski. Suite à ses contentieux avec les autorités soviétiques, il avait été obligé à émigrer pour trouver d’autres ressources financières, artistiques, et professionnelles. Il est connu par ses pertinentes citations dont la plus célèbre ” Celui qui trahit une seule fois ses principes perd la pureté de sa relation avec la vie”.

Cette journée sera également une occasion pour écouter des témoignages d’écrivains tunisiens qui ont été emprisonnés à cause d’une idée, d’un livre, qui peut être un “livre refuge” un “livre butin”, ou un livre dont les mots s’imposent et avancent à travers les pages pour porter aux âmes perdues un “escadron de sauvetage”. Parmi les invités seront présents Jalloul Azzouna, fondateur et président de la ligue des écrivains libres depuis 2001, incarcéré en 1989, pour ses prises de position en faveur de la liberté d’expression. M. Jalloul Azzouna est le premier prisonnier politique pendant le régime de Ben Ali. Seront présents également Mohamed Salah Fliss auteur de “Oncle Hamda le docker” qui constitue un témoignage sur l’expérience carcérale des militants de la gauche tunisienne dans les années 70, ainsi que Gilbert Naccache qui fut condamné en 1968 à cause de ses activités politiques au sein du mouvement “Perspectives Tunisiennes”.

Il y’aura aussi des textes poétiques de l’écrivain allemand Lutz Rathenow, qui seront lus par Leila Toubel grâce à la traduction en arabe d’Anis Ben Amor.

Comment parler des “prisons intérieures” est le thème général de trois communications : “la prison des mots” par Azza Filali, “les nouveaux tabous” par Mondher Jebbari et “Presse, entre liberté et censures persistances” par Raouf Seddik.

Cet événement, le premier du genre, est organisé également en partenariat avec le musée de Stasi, auparavant prison de Berlin- Hohenschonhausen, symbole lié aux 44 ans de persécutions politiques dans les zones d’occupation soviétique et dans la RDA. Depuis l’année 2000 et à la demande d’anciens détenus, ce mémorial est devenu un laboratoire de recherches et de publications et un lieu de conférences sur l’histoire de cette prison et des prisonniers persécutés et réprimés pour délit d’opinion, victimes de l’intolérance et de la dictature.

Pour rappel, la journée mondiale de l’écrivain en prison est organisée depuis 1981 en vue d’attirer l’attention mondiale sur les différentes formes de représailles menées contre des écrivains mais aussi des journalistes pour les réduire au silence et briser leurs plumes.

WMC/TAP