Hugh Hewitt : « Courez-vous toujours ? »
Paul Ryan : « Ouais, je me suis blessé au niveau d’un disque, donc je ne cours plus de marathons. Je cours seulement une quinzaine de kilomètres. »
Hugh Hewitt : « Quel est votre record (pour un marathon ?) »
Paul Ryan : « Sous les 3 heures, je l’ai fait en 2h50 et quelque. »
Le 22 août dernier, lors d’une interview radiophonique, Paul Ryan, colistier de Mitt Romney, le candidat républicain à la Maison-Blanche, se donnait des airs de Kényan. Un marathon en 2h50, soit une quarantaine de minutes seulement au-dessus du record du monde… De quoi mettre la puce à l’oreille de certains journalistes qui sont allés titiller l’athlétique conservateur sur ses prétentions sportives. Lequel a fini par reconnaître qu’il lui fallait plutôt 4 heures et quelques pour couvrir 42,195 km.
En partant du postulat qu’étant donné l’ampleur de l’effort accompli, il serait pour le moins indécent de la part d’un marathonien d’oublier son temps, s’instaure un gros doute : Paul Ryan aurait-il commis un bon gros mensonge ?
Vérification faite, le coup du marathon n’est pas le premier mensonge de Paul, ni, probablement, le dernier.
Ce faisant, M. Ryan s’inscrit dans une joyeuse tradition, celle du mensonge politique, un véritable art, comme l’écrivait Machiavel, puis un certain Jonathan Swift, sur un ton plus plaisant.
C’est en 1733 que M. Swift publie “L’art du mensonge politique* sous le nom de John Arbuthnot. Au moment de sa sortie, ce pamphlet est présenté comme une introduction à une série de volumes sur le sujet. Volumes qui ne parurent jamais.
Dans ce traité, Swift étudie les différents types du mensonge en politique, « l’art de faire croire au peuple des faussetés salutaires ».
Ce pamphlet a passé l’épreuve du temps de manière remarquable et Paul Ryan peut entrer, sans forcer le moins du monde, dans la catégorie « mensonge d’épreuve ». Un mensonge d’épreuve étant, selon M. Swift, « une première charge qu’on met dans une pièce d’artillerie pour l’essayer ; c’est un mensonge qu’on lâche à propos pour sonder la crédulité de ceux à qui on le débite ».
Ryan n’est pas le seul à avoir tenté le mensonge d’épreuve. Al Gore, avant lui, en avait donné un bel exemple en déclarant, en 1999, « avoir pris l’initiative de créer Internet ».
Plus près de nous, Dmitri Tabachnik, ministre ukrainien de l’Enseignement, n’a pas hésité à déclarer que l’université ukrainienne Kyiv national Shevchenko était entrée dans le classement « Times Higher Education » des meilleures universités au monde.
Outre le mensonge d’épreuve, Swift évoque le « mensonge d’addition », qui « donne à un grand personnage plus de réputation qu’il ne lui en appartient et cela pour le mettre en état de servir à quelque bonne fin ou à quelque dessein qu’on a en vue ».
Feu Mouammar Kadhafi avait un faible pour ce type de mensonge, lui qui déclarait, avant de se faire lyncher par ses compatriotes dans une canalisation d’égout : « Mon peuple m’adore. Ils mourraient pour me protéger. »
Également étudié par M. Swift, le « mensonge merveilleux » pour lequel nombre de grands leaders craquent. Par rapport au peuple, note M. Swift, le « mensonge merveilleux se divise en deux espèces : celui qui sert à épouvanter et à imprimer la terreur, et celui qui anime et encourage ».
En la manière, Hugo Chavez vient de nous pondre un mensonge aussi « merveilleux » que frais, en déclarant lundi dernier, soit à un mois de la présidentielle d’octobre au Venezuela, que l’arrivée au pouvoir de l’opposition déboucherait sur un « scénario désastreux, une profonde déstabilisation » qui pourrait mener « jusqu’à une guerre civile ».
Quelques jours plus tôt, Bachar el-Assad y avait aussi recours, en lâchant, lors d’une interview TV : « C’est le sort d’une patrie qui est en jeu, non pas d’un régime. »
Mais c’est de l’autre côté de l’Atlantique que se trouvent quelques-uns des grands maîtres du « mensonge merveilleux ». C’était il y a dix ans.
Dick Cheney, en août 2002: il «n’y a pas de doute que Saddam Hussein a maintenant des armes de destruction massive».
George W. Bush, un mois plus tard : « Le régime irakien possède des armes biologiques et chimiques, reconstruit des installations pour en fabriquer encore plus (…) cherche à avoir la bombe nucléaire et avec des matériaux fissiles pourrait en fabriquer une en un an. »
« Il n’y a point d’homme qui débite et répand des mensonges avec autant de grâce que celui qui le croit », écrivait Jonathan Swift.
* Jean-Jacques Courtine : Jonathan Swift, “L’art du mensonge politique”, Edition Jérôme Millon
Article publié sur L’orient le jour