Qu’est devenue la France d’antan?

Drôle d’idée pour un dossier de couverture que celui de l’hebdomadaire roumain Dilema Veche. Non seulement, il titre sur “La France et la francophonie : ce qu’elles signifient encore aujourd’hui” mais il cite également Antoine Compagnon : “Vous ne trouverez chez aucun de nos voisins européens, ni chez nos amis américains, toute cette poésie de la décadence“.

De quelle décadence s’agit-il ? De la France en Roumanie ? Ou de la France dans le monde? Selon Mircea Vasilescu, rédacteur en chef deDilema Veche, nous sommes confrontés à deux visages de la France dans cette relation d’amour et de haine qui unit Français et Roumains.

Il y a d’abord le mythe des “relations privilégiées“. Car, comme l’écrit Vasilescu dans un article publié par Courrier International, “c’est ce que nous apprenons à l’école, depuis des générations. Tout Roumain a à l’esprit au moins un stéréotype sur l’histoire d’amour franco-roumaine à travers les âges : le passage par les universités françaises de l’élite roumaine du XIX e siècle, initiatrice de la révolution de 1848 ; le soutien de la France à l’Union des principautés roumaines [l’acte de naissance de la Roumanie, en 1859] ;l’influence de la littérature française sur les écrivains roumains ; le souvenir que nos élites parlaient le français [au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale],que le général Berthelot nous a sauvés pendant la Première Guerre mondiale [à partir de 1916, les Français avaient aidé à réorganiser l’armée roumaine, laminée par les troupes allemandes]”.

Vient ensuite le fait que, dans le monde globalisé qui est le nôtre, l’amitié compte désormais pour des prunes. Dans tous les sens du terme, et Mircea Vasilescu le remarque, en écrivant que deux épisodes – l’expulsion des Roms décidée pendant la présidence de Nicolas Sarkozy et le véto à l’entrée dans l’espace Schengen – ont été considérés comme des trahisons : “Car, au-delà de la question des Roms à proprement parler (à laquelle les Français ont trouvé une “solution” complètement dépourvue d’inspiration et qui leur a attiré les foudres du monde entier), c’est le message qui compte : Paris a transmis au reste de l’Europe l’idée que la Roumanie n’était pas ‘en règle’, qu’elle était incapable de résoudre ses problèmes, voire qu’elle en créait pour les autres pays de l’UE“.

Enfin, reste un dernier détail : la France, à coup d’histoires, de trahisons ou tout simplement parce qu’ainsi va le monde, n’est plus notre seul partenaire privilégié. Les Roumains pratiquent maintenant le multilatéralisme politique et la langue française n’est plus, comme jadis, la première langue apprise à l’école. Est-ce la faute de Paris, “qui a cédé la place de phare culturel et intellectuel à Berlin“, se demande Dilema Veche ? Ou des Anglo-saxons, qui ont tout massacré sur leur passage linguistique?

Quoiqu’il arrive, il nous faut reconnaître, admet l’hebdomadaire roumain, que la “France a encore les ressources pour rester un repère fondamental du monde d’aujourd’hui” même s’il lui faut “trouver les moyens et la stratégie” pour y parvenir. Preuve en est ce qui se passe justement, ces jours-ci, à Bucarest : la France est l’invitée d’honneur de Bookfest, le Salon international du livre (du 30 mai au 2 juin) dont Presseurop.eu est partenaire. Les Roumains, du plus jeune au plus blasé, se préparent à réviser leurs classiques, qu’ils s’appellent Pif, Proust ou Houellebecq.

Blog de Iulia Badea Guéritée