Tunisie – Crise politique : Le parti Ennahdha joue-t-il la montre?

Certains ne sont pas loin de penser qu’Ennahdha cherche à gagner du temps. L’épuisement, la lassitude, le désespoir et les divisions finiront, à ses yeux, par gagner les rangs de l’opposition.

Faut-il croire Sami Taheri, secrétaire général adjoint et porte-parole de l’UGTT (Union générale tunisienne du travail), qui déclarait, le jeudi 15 août 2013, qu’Ennahdha cherche à gagner du temps? De ce point de vue, la position du Conseil d’Achoura de ce mouvement, publié le 18 août 2013, et dans lequel il indique qu’il est favorable à un gouvernement politique peut être effectivement considérée comme une illustration vivante de la politique nahdaouie qui consiste à faire jouer la montre.

Certains pensent, à ce propos, à un scénario semblable à celui que la Tunisie a vécu entre le 6 février 2013 (lâche assassinat de Chokri Belaïd) et le 13 mars (démission de Jebali et constitution du gouvernement Larayedh). Entre ces deux dates, Ennahdha a gagné du temps, d’abord, pour engager un débat interne pour tirer au clair cette question de gouvernement de compétences proposé par son secrétaire général, Hamadi Jebali. Une proposition refusée par son Conseil d’Achoura. Des négociations se sont engagées par la suite avec certains partis de l’ANC (Assemblée nationale constituante) en vue d’élargir la coalition au pouvoir, faite d’Ennahdha, du CPR (Congrès Pour la République) et d’Ettakatol, autour d’Ali Laarayedh, candidat du mouvement islamiste à la présidence du gouvernement.

Un vieux scénario remis en scelle?

Des négociations qui n’ont pas été couronnées de succès. Dans la mesure où aucun parti autre que ceux de la Troïka n’a accepté d’aller au charbon. Certes, des “technocrates“ se sont occupés les maroquins ministériels des départements de souveraineté –une exigence de l’opposition- et des “indépendants“ (sans pouvoir réel) ont occupé d’autres, mais l’ouverture tant annoncée n’a pas eu lieu.

Ce scénario n’est-il pas en train d’être remis de nouveau en scelle? Ennahdha pourrait, donc, jouer les prolongations jusqu’à imposer une situation qui soit en droite ligne de ses intérêts. Multipliant, dans ce cadre, les appels pour un dialogue, les acceptations et les refus. Et les manœuvres en tentant de fissurer le rang de l’opposition. La rencontre de Rached Ghannouchi, le président d’Ennahdha, le 15 août 2013 à Paris, avec Béji Caïd Essebsi, président de Nidaa Tounes, au cours de laquelle il lui aurait proposé plusieurs portefeuilles ministériels, participe de cette logique.

En clair, Ennahdha compte peut-être sur l’épuisement, la lassitude, le désespoir et les divisions pour pouvoir imposer son diktat? Car pour lui, un départ du gouvernement signifierait, peut-être, du moins pour sa direction et ses faucons, un échec dans son action à la tête du gouvernement. Voire un suicide politique.

Un «printemps arabe» qui n’a que trop déçu

Reste que le contexte -aussi bien national qu’international- a changé. La foule égyptienne a imposé un nouvel ordre soutenu fermement par l’Arabie Saoudite et toutes monarchies du Golfe –à l’exception du Qatar- qui entendent renverser la vapeur d’un «printemps arabe» qui n’a que trop déçu.

En Tunisie, la difficile situation économique n’est pas là non plus en faveur du mouvement Ennahdha, fer de lance du gouvernement Laarayedh, qui en est, quoi qu’il en soit –la récession européenne est pour beaucoup- responsable. La montée au créneau de l’UGTT et de l’UTICA, pour attirer l’attention sur une conjoncture difficile, ne facilite pas la manœuvre d’Ennahdha. Le gouvernement Laarayedh n’a pas du tout réussi des avancées sur le front de l’économie: le chômage est là où l’a pratiquement laissé le gouvernement Jebali ainsi que la cherté de la vie. Et la confiance ne règne pas. Ou plus. En témoigne la dégradation, le 16 août 2013, par l’agence Standard and Poor’s de la note souveraine de la Tunisie de “BB-“ à “B“ avec perspective négative. Et avec l’expression d’une inquiétude «quant à la capacité du pays à faire face à ses engagements financiers compte tenu de la récurrence de l’instabilité qui retarde la mise en œuvre de réformes structurelles favorables à l’emploi et à la croissance».

Un contexte nouveau qui incite l’opposition, qui dit en avoir marre des engagements et des promesses non tenus et de la gestion de la Troïka, à résister, pensant qu’elle tient enfin le bon filon.

Article publié sur WMC