Reportage – Flambée de violence à Tunis le 9 avril 2012…

Nous avons fait écho du récit de Khaled, un Tunisien comme tant d’autres, qui a vécu lundi 9 avril 2012 la manifestation de l’Avenue Bourguiba. A distance. Sur le trajet El Menzah 6-La Marsa, en aller et retour. Instantanées de vie dans un jour marqué par la matraque et les gaz lacrymogènes des policiers.

Lundi 9 avril 2012. Khaled est Béjois. Informaticien dans une entreprise du côté de La Marsa, il a pris à 11h le chemin de son travail pour une urgence. D’abord, le bus 51 devant les UV 4, à El Menzah 6, où il habite chez sa tante, ensuite, le train à la station du TGM (Tunis-Goulette-La Marsa). Mais en ce jour commémorant le 74ème anniversaire du 9 avril 1938, la fête des martyrs, une surprise l’attend. Le chauffeur du bus refuse d’emprunter l’Avenue Mohamed V. Certains comme Am Mahmoud, 72 ans, a beau protester, rien n’y fait –il veut descendre du côté du British Council pour aller déjeuner chez sa fille. Le chauffeur, une fois arrivé au niveau du croisement de la Pharmacie Centrale de Tunisie, ne bifurque pas à droite, mais va tout droit. «Vous n’avez qu’à protester auprès du contrôleur une fois arrivé à la station des bus du TGM, c’est lui qui me demande de prendre l’autoroute».

«J’ai vu quelqu’un crier et mettre la main sur une oreille»

Au niveau du Palais des Congrès, derrière le parc B, il fait mine de montrer l’attroupement de nombreuses personnes à la Place des Droits de l’Homme sur l’Avenue Mohamed V. Et pas question de s’arrêter avant le terminus du TGM. «Y en a marre. On sait plus que manifester», regrette Am Mahmoud. Avant d’ajouter: «Que veulent ceux qui ont ce matin pris pied sur l’Avenue Bourguiba? Ils veulent libérer l’Avenue Bourguiba? Qu’ils aillent libérer la Palestine et Jérusalem!»

 Au TGM, dans la station du train qui dessert la banlieue nord de Tunis, on ne parle que des incidents qui ont marqué la matinée sur l’Avenue Habib Bourguiba. «C’est horrible», raconte Ismaël, 22 ans et quelques mois, étudiant en architecture à Sidi Bou Saïd. Il poursuit: «Il était 10 heures. J’étais dans une rue parallèle en train de boire un café, quand j’ai vu des jeunes de mon âge prendre la direction de l’Avenue Bourguiba. Ils ont voulu forcer le passage devant une voiture de police. Même pas deux minutes après, ils ont rebroussé chemin. J’ai vu quelqu’un crier et mettre la main sur une oreille. Il affirmait avoir reçu un coup de matraque».

D’autres passagers qui attendent le train vous parleront également, quelquefois dans le menu détail, de ce qu’ils ont vu. Samir, qui dit avoir été sur l’Avenue Bourguiba,vous dira qu’il a été asphyxié par l’odeur des gaz lacrymogènes.

«Et puis tout d’un coup, ça a chauffé du côté de la rue Jean Jaurès»

Dans le train, ça continue à discuter. Mondher, habitant de La Goulette, est descendu à Tunis vers 7 heures du matin pour aller chercher un colis envoyé de Kairouan par son beau-père à la Gare routière de Bab Alyoua, par l’intermédiaire d’un chauffeur de bus. Il affirme avoir senti une tension dès les premières heures du jour. Il n’a, d’abord, rien vu sur l’Avenue Habib Bourguiba. Le centre de ralliement semble, à ses dires, être la Place des droits de l’Homme sur l’Avenue Mohamed V.

«Et puis tout d’un coup, ça a chauffé du côté de la rue Jean Jaurès». Et Mondher de parler d’actes de violence de la part des forces de l’ordre qui ne sont pas allées de main morte. «J’ai vu des policiers cagoulés en 4X4. C’était un film de Hollywood».

Les autres passagers, l’oreille branchée sur telle ou telle autre radio, ruminent les échos de la manifestation de l’Avenue Habib Bourguiba. Certains parlent de l’arrestation de figures de la société civile et de membres de la Constituante. D’autres évoquent, dans des interviews, la présence de miliciens parmi les forces de l’ordre. Ou encore les réactions des militants des Droits de l’Homme.

Sur le chemin du retour vers 14 heures 30, Khaled assiste, dans le taxi collectif qui dessert Tunis, aux mêmes discussions. La cinquantaine, enseignant de son état, Adel est catégorique: «Il y a anguille sous roche». En clair: certains empêcheurs de tourner en rond ont voulu jouer un mauvais coup. Certes, certains ont voulu manifester pacifiquement. Mais, il y avait des intrus qui ont gâché la fête. Une enquête est nécessaire pour démêler le bon grain de l’ivraie». Ce n’est pas l’avis de Imed qui affirme qu’«il n’y a pas photo. Le ministère de l’Intérieur a voulu siffler la fin de la récréation! Plus rien ne sera plus comme avant en matière de sécurité».

Tout le long des quelques mètres qui le séparent de la station du métro de la République, Khaled ne manquera pas de vivre quelques moments d’effervescence. Au coin de la rue Lénine, il croise une dizaine de jeunes venus en pas de course se déverser à la rue Habib Thamer. Au passage, et à quelques pas de la station de métro de la République, deux voitures de police montent la garde. Habillés en noir et casqués, les policiers demandent à des jeunes de s’éloigner tandis que l’un d’entre eux demander à un jeune étudiant de calmer ses ardeurs.

Arrivé à la station de métro, qui fait face au stade Olympique d’El Menzah 1, Khaled prend son mal en patience. En parcourant la distance qui sépare cette station des appartements dits des UV 4, à El Menzah 6… à pied.

Par Mohamed Farouk

Article publié le 10 avril 2012 sur WMC

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