Taher Bekri : J’habite une maison à deux fenêtres

“J’habite une maison à deux fenêtres. L’une, de langue arabe, l’autre, de langue française. J’essaie grâce à elles de regarder le monde, de dire mon être. Je suis le fruit de l’école tunisienne bilingue…”, c’est par ces mots extraits de son texte “reconstruire Babel”, publié dans l’ouvrage “Mille Langues et une oeuvre”, que le poète et essayiste tunisien Tahar Bekri a introduit la rencontre autour du bilinguisme qui a eu lieu mercredi soir à Paris.

Organisée par l’association France Tunisie en collaboration avec la Maison de Tunisie en France, la rencontre autour du bilinguisme était une occasion pour avoir une idée sur la relation du poète et universitaire tunisien avec les langues arabe et française, et “l’amour” qu’il éprouve envers ces deux langues “si riches et chargées de culture”.

De par sa formation dans une école bilingue, Tahar Bekri vit très bien le bilinguisme qui d’après lui, est une “fenêtre” qui lui permet de voyager, de s’ouvrir sur l’Autre, de le découvrir, et de “respirer l’air des quatre vents”, sans avoir peur d’être “déraciné” ou que son “identité” soit menacée.

“La langue arabe est si enracinée en moi que je n’ai jamais eu peur de la langue française, peur qu’elle me déracine ou qu’elle menace mon identité”, disait le poète.

Il a, par ailleurs, présenté l’histoire de l’introduction de la langue française en Tunisie depuis 1840, “c’est-à- dire avant la colonisation qui surgit en 1881”, précise l’universitaire.

Dans ce contexte, Tahar Bekri précise que l’enseignement bilingue en Tunisie, dit “sadiki” fut institué en 1875 sous le souverain Sadok Bey et ce, jusqu’à l’après indépendance”. Il a rappelé le rôle joué par l’école militaire française dans la promotion de la langue de Molière en Tunisie dans le cadre du projet colonial, tout en parlant de l’expérience de “la Zeitouna”.

L’universitaire a aussi souligné la richesse de la langue arabe tout en rappelant le rôle joué par les différents écrivains tunisiens arabophones avant et après l’indépendance.

Il a raconté ses expériences dans les clubs qui passaient d’une langue à une autre, en énumérant les écrivains bilingues comme Farid Ghazi, Fredj Lahwar et Abdelaziz Kacem qui ont publié dans les deux langues ainsi que Moncef Ghachem qui a écrit dans le dialecte tunisien, indique Tahar Bekri rappelant le rôle de Salah Guermadi dans la traduction des écritures de Malek Haddad.

En guise de fin, Tahar Bekri a récité en arabe et en français un poème intitulé “Afghanistan” avant de lire un extrait de son ouvrage “le livre du souvenir”, dédié à la mémoire des martyrs de la révolution tunisienne.

Et si la langue arabe interpelle actuellement différents observateurs à cause de la prolifération des actes de terrorisme et l’extrémisme religieux, pour Tahar Bekri “il ne faudrait pas laisser la langue arabe otage de la religion”, ni même “confondre arabisation et islamisation” a-t-il déclaré à l’agence TAP.

Prenant la parole, le directeur de la maison de Tunisie Imed Frikha a indiqué que “la langue arabe est aujourd’hui une richesse recherchée par tous et que c’est dans ce sens qu’on appelle au vivre-ensemble comme remède profond au problème du terrorisme”. Pour lui, “c’est à partir du bilinguisme qu’on peut résoudre ce fléau”.

Le président de l’association France-Tunisie René Gérard, considère, pour sa part, que le bilinguisme est un ancrage très important et que c’est “au croisement des cultures et des langues qu’on apprend comment s’inspirer”. c-sana-v.sb