L’Instance provisoire de l’ordre judiciaire, qui remplace l’ancien Conseil supérieur de la magistrature du temps de Ben Ali, a créé, ces jours-ci, l’évènement en frappant fort, même très fort, contre toute attente. Cette instance vient de prendre ses premières mesures disciplinaires à l’encontre de 49 -bien 49- magistrats de divers grades. Ces mesures ont été annoncées par Faouzi Maâlaoui, membre de ladite Instance, lors d’une conférence de presse tenue mercredi 24 février 2016.
Gros plan sur la portée de ces sanctions.
Il s’agit de sanctions de révocation prononcées à l’encontre de 22 juges, alors que 22 autres ont été suspendus pour une période allant de 1 à 9 mois avec cessation de paiement de salaires.
Par ailleurs, 5 magistrats vont être traduits devant la justice pour des affaires pénales. On leur reproche des délits de corruption, d’abus de pouvoir et d’appartenance politique.
Ces abus ont été commis, dans la plupart des cas, sous l’ère de la Troïka, l’ancienne coalition gouvernementale dominée par le parti islamiste Ennahdha.
Des magistrats corrompus, il en existe
Ces mesures viennent confirmer les résultats de l’enquête menée, en septembre 2014, par l’Institut national de la statistique sur «la perception du citoyen de la sécurité, des libertés et de la gouvernance locale en Tunisie».
Cette enquête avait révélé la propagation de la corruption dans plusieurs secteurs clefs. La justice arrive en troisième position (64% des sondés), derrière la sécurité (68%) et la santé (67%), mais devant le corps des agents judiciaires (62%) et de l’éducation et de l’enseignement (59%).
Ces mesures disciplinaires et ces statistiques sur la corruption des magistrats arrivent à un mauvais moment dans la mesure où ces derniers sont accusés de mauvais rendement, de blanchiment du terrorisme et de la corruption. Il leur est surtout reproché d’être trop lents dans le traitement des affaires dont 400 dossiers de corruption et de plus d’un millier d’autres liés au terrorisme.
Pour se justifier, les magistrats, bien que rémunérés convenablement (un salaire mensuel moyen de 2.500 dinars), invoquent, constamment, les mauvaises conditions de travail et l’exiguïté des locaux.
Leur mauvais rendement leur a coûté d’avoir tout le monde sur le dos: opinion publique, partis politiques, gouvernement, journalistes, avocats, et surtout la police.
Les magistrats ont tous les corps sur le dos
Cette animosité a atteint, ces derniers jours, un seuil intolérable avec la mauvaise prestation télévisée d’une des figures de proue des magistrats, Ahmed Rahmouni, président de l’Observatoire tunisien pour l’indépendance de la magistrature (OTIM). Ce magistrat a commis l’erreur de prendre exagérément la défense de terroristes au nom de leur droit à un procès juste et de diaboliser la police au point de n’y voir que des tortionnaires. Ce comportement excessif et ostentatoire a dérangé plus d’un et lui a valu un clash avec le ministre de l’Education, Néji Jalloul, qui l’a qualifié de «blanchisseur de terrorisme».
L’alignement des magistrats sur les thèses terroristes leur a valu d’être qualifiés sur le plateau de télévision Nessma TV par le journaliste Sofiane Ben Farhat de «daechistes». Il a été également perceptible à travers la décision du fameux juge d’instruction du Bureau 13 auprès du Tribunal de première instance de Tunis de mettre en garde à vue Imed Dardouri, président de l’Organisation tunisienne des forces de sécurité et du citoyen (OTFSC) pour avoir diffusé sur la chaîne de télévision privée El Hiwar Ettounsi d’une vidéo fuitée d’un terroriste présumé pendant la reconstitution d’un crime terroriste et libéré ensuite par ce magistrat.
Imed Dardouri, qui entendait, à travers cette initiative, prouver que les magistrats libéraient des terroristes, a été accusé à son tour pour implication «dans une affaire terroriste».
L’affaire a pris de l’ampleur et est devenue une affaire d’opinion publique. Le juge d’instruction du Bureau 13, qui connaît de sérieux problèmes avec le Comité de défense du martyr Chokri Belaid pour mauvais rendement, est de nouveau l’objet de toutes les critiques.
Ahmed Rahmouni et Raoudha Krafi -présidente de l’Association des magistrats tunisiens- se sont pressés de lui porter secours. Le premier a osé parler de vidéo fabriquée par la police tandis que la seconde n’a pas daigné ni confirmer ni infirmer l’existence de cette vidéo dans le dossier de l’instruction.
Qu’en pensent les magistrats indépendants?
Interpellé sur ce dossier, le juge administratif et juriste universitaire, Ahmed Souab, réputé pour son indépendance, a déclaré qu’il a eu beau chercher et fouiller dans les textes de lois des différents codes, il n’y a rien trouvé qui puisse justifier l’arrestation puis l’émission d’un mandat de dépôt à l’encontre du syndicaliste sécuritaire, Imed Dardouri.
Il a ajouté que «ce cadre sécuritaire peut être, au contraire, qualifié de véritable héros, car il ne faut pas oublier qu’il avait été à l’origine de la révélation des services de sécurité parallèle à l’aéroport de Tunis-Carthage, évitant ainsi au pays un véritable désastre sécuritaire».
Invité à évaluer le corps des magistrats, le juge Ahmed Souab a déclaré qu’il existe des juges fonctionnaires chez certains partis ou qui ont une idéologie particulière. Il confirme ses griefs à l’encontre de certains de ses collègues en désignant du doigt et nommément les dirigeants de l’AMT qu’il accuse d’«interventionnisme dans les affaires de la justice».
Sans commentaire.
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Lire notre article sur le juge Ahmed Souab:
Portrait: Ahmed Souab ou le juge syndicaliste