Alzheimer : Epuisement des soutiens familiaux face à l’indifférence de la société

Au premier étage d’une villa située aux environs d’El Menzeh4, se trouve un lieu unique en Tunisie, dédié aux aidants familiaux des malades atteints d’Alzheimer : c’est l’association Alzheimer Tunisie.

En plus de contribuer à l’amélioration de la prise en charge des personnes atteintes d’Alzheimer, l’association Alzheimer Tunisie s’emploie à soutenir les familles des malades afin de prévenir l’épuisement des aidants familiaux qui demeure méconnu et non reconnu par la société tunisienne.

Au-delà de la souffrance des malades, l’alzheimer affecte de manière notoire la vie de leurs proches, tant bien sur le plan physique que psychologique.

Depuis trois ans, Nicolle Faleh, une retraitée de 71 ans, bénévole à l’association Alzheimer s’investit à animer des ateliers de peinture et de bricolage destinés aux aidants afin de leur rendre la vie moins pesante.

“En Tunisie, la société accorde peu d’intérêt à celui qui accompagne le malade 24h/24, l’aidant familial est souvent livré à lui même et doit gérer seul une maladie imprévisible qui ronge un être cher et le rend méconnaissable”, explique Nicole.

“Cet espace est un échappatoire où, à travers des activités artistiques, l’aidant oublie son quotidien difficile et parvient à tisser des liens d’amitiés et de partage avec d’autres aidants”, poursuit-elle.

Je ne la quitterai jamais car c’est une partie de moi

Sous le regard bienveillant de Nicolle, Samira (prénom d’emprunt) qui apportait les dernières touches de pinceau à son plateau, se confie : “Mon mari est atteint d’alzheimer depuis deux ans.

Avec le temps et l’évolution de la maladie, il est devenu très dépendant. Il ne veut plus sortir. Ma vie a changé du jour au lendemain.

Je ne sors, pratiquement, plus.” Au delà des difficultés quotidiennes et de la fatigue, Samira a tenu à exprimer sa gratitude face au soutien quotidien apporté par ses enfants et petits enfants :

“je m’estime chanceuse car je ne suis pas seule face à cette maladie. Mes enfants et petits enfants me soutiennent”, évoquant, dans ce sens, son petit fils, kinésithérapeute, qui vient chaque jour, faire une séance de rééducation à son grand père.”

Non loin de Samira, Si Ahmed (prénom d’emprunt), aidant familial, 75 ans, témoigne à l’agence TAP : “celui qui n’a pas un proche atteint d’Alzheimer, ne peut pas comprendre la détresse et la fatigue des aidants. Le malade ne souffre pas vraiment.

C’est bien les proches qui subissent et restent impuissants face à la progression de la maladie.” Se rappelant de sa femme, “Si Ahmed” témoigne qu’elle était implacable sur les proverbes.

“Aujourd’hui ma femme est dans un stade avancé. Elle ne réagit plus à mes sollicitations et ne fait que répéter ce qu’elle entend”, regrette “Si Ahmed” avec amertume avant d’ajouter : “Cela va faire 55 ans que je suis avec ma femme. Elle est malade depuis 10 ans.

Je suis en train de la voir s’éteindre comme un lustre lumineux dont les lampes cessent d’éclairer lentement et progressivement d’une manière irrévocable, mais je ne la quitterai jamais car c’est une partie de moi”.

Dans une autre salle, M. Ben Mahmoud (nom d’emprunt), un retraité de 60 ans, aidant familial depuis 2010, année où sa femme a été diagnostiquée Alzheimer, témoigne : “je viens ici chaque lundi et jeudi pour profiter d’un moment de détente et oublier la dureté du quotidien”.

Tout en s’appliquant à moduler son objet en céramique, Ben Mahmoud poursuit “en tant qu’aidants familiaux, nous nous sentons délaissés par l’Etat et la société. Je vis 24h/24 avec ma femme, atteinte d’Alzheimer depuis plus de cinq ans.

Il me faut une prise en charge physique et psychique afin que je puisse m’occuper correctement d’emme”, déplorant, à ce sujet, la prise en charge tardive par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) de sa dépression.

“Il a fallu plus d’une année pour que mon dossier de prise en charge psychiatrique soit reconnu par la CNAM. Aujourd’hui je suis suivi par un psychiatre afin de gérer ma dépression et mes troubles de sommeil” se confie-t-il.

Ben Mahmoud a tenu à souligner à l’agence TAP la charge physique et matérielle de la maladie subie par l’aidant familial : “Physiquement le malade nécessite une attention continue, c’est un bébé-adulte ayant son vécu, ses habitudes sa personnalité. Sa prise en charge requiert une assistance spécifique et adaptée”, explique-il.

“L’Alzheimer est une maladie coûteuse et la CNAM ne prend en charge que quelques médicaments”, a-t-il fait savoir. “Je paye 600 dinars à une femme de ménage et à une auxiliaire de vie qui vient trois fois par semaine seulement”, précise-t-il avant de poursuivre : “l’auxiliaire de vie refuse de s’engager à plein temps. Je lui ai proposé 600 dinars par mois en plus de la sécurité sociale mais elle a refusé car elle préfère attendre l’ouverture d’un concours de recrutement au sein d’une maison de retraite publique”, a-t-il ajouté.

Absence d’une maison d’accueil publique spécialisée pour les malades d’Alzheimer

Appelant à la mise en place de structures publiques d’accueil spécialisées d’assistance aux malades et aidants familiaux, Ben Mahmoud observe que certains maisons de retraite comme celle du gériatre Braiki, située à Salammbô, propose un service spécifique aux malades d’Alzheimer avec la possibilité d’être hébergé pour 1200 DTpar mois.

“D’autres structures comme celles fréquentées par un proche d’un habitué de l’association offre seulement un service médical de jour classique (suivi médical, toilette, alimentation) pour 1460 dinars par mois et pour seulement trois jours par semaine (9h à 17h).”,

ajoute-t-il. Voulant connaître les services offerts par cet établissement privé, nous avons pris rendez-vous avec la directrice. Une fois sur place, la responsable nous a reçue dans son bureau pour nous accorder un entretien.

“Inauguré officiellement en 2014, notre établissement est considéré comme le premier centre privé en Afrique et au Moyen- Orient en matière de prise en charge multidisciplinaire des patients atteints de la maladie d’alzheimer”, a-t-elle dit.

L’objectif étant d’améliorer, aussi bien la qualité de vie des aidants que des malades en simulant leurs fonctions cognitives et en préservant leurs autonomies, a-t-elle poursuivi, ajoutant que son équipe propose diverses activités thérapeutiques à l’instar des ateliers d’ergothérapie, de kinésithérapie, de musicothérapie et d’orthophonie.

Interrogée sur la possibilité d’effectuer une visite au sein de l’établissement pour assister à ces ateliers thérapeutiques, la directrice a refusé notre requête pour des raisons qu’elle a qualifiées de “déontologiques”.

Nous ne sommes pas parvenus à rencontrer des malades ou des aidants familiaux et à nous entretenir avec les médecins spécialistes exerçant dans ce centre privé. Tout ce qu’on a pu voir, c’était des pièces vides.