De Paris à Falloudja, le parcours des frères El Hakim

Il roulait en Opel Corsa en écoutant du rap à plein volume, fumait des joints et traînait tard le soir dans la capitale. Puis sa vie a basculé. Redouane El Hakim était un jeune comme les autres : « Il tenait les murs, comme on dit chez nous, souligne sa mère, Habiba.

Puis, il a rencontré Allah et s’est remis dans le droit chemin. » Ce qui l’a mené du XIX e arrondissement de Paris à l’enfer irakien de Falloudja.

 Un « voyage d’études »  en Syrie

Le destin tragique de Redouane, 19 ans, est inséparable de celui de son frère, Boubaker, 22 ans. Le premier est mort sous les bombes de la coalition, le second croupit aujourd’hui dans une prison à Damas (Syrie). Comment ces deux Parisiens, comme tant d’autres, ont-ils basculé dans l’islam radical ? Leur entourage cherche encore à comprendre.

La famille El Hakim est arrivée en 1998 dans cette HLM bien tenue du Nord parisien. Au deuxième étage vivent la mère, trois garçons et deux filles. Habiba porte un voile noir et élève ses enfants seule. La grande soeur, Khadija, titulaire d’un diplôme d’arabe littéraire, épaule sa mère. Pour garder son voile, qui encadre un sourire éclatant, elle a préféré perdre son emploi.

La benjamine, Fatma, baskets branchées sous sa djellaba, a renoncé pour le même motif à aller au collège public.

Dans la famille, le Coran est désormais suivi au pied de la lettre. Redouane a pourtant longtemps vécu « loin de l’islam ». Le cadet est d’abord un élève turbulent, qui sèche les cours. Amateur de kung-fu, de football et plus récemment de boxe, il s’oriente vers un métier manuel. Dans le cadre d’un contrat d’apprentissage, le voilà dans une boulangerie du quartier. Mais il jettera l’éponge avant d’obtenir son diplôme.

Boubaker, plus renfermé que son jeune frère, est le premier à entendre la voix d’Allah. Le changement est immédiat : « Il s’est laissé pousser la barbe et s’est habillé en tenue traditionnelle », se souvient un voisin.

A deux reprises, il effectue un « voyage d’études » en Syrie : « A chaque retour, il était plus extrémiste », témoigne un jeune du quartier.

La conversion de Redouane est plus récente : «Il y a six mois, il fumait encore », raconte Khadija. Redouane rejoint son frère une semaine en Syrie. « A son retour, ce n’était plus le même, se souvient un ami d’enfance. La religion, c’est devenu sa vie. » Pourtant peu féru de lecture, il se plonge dans le Coran.

« Tout ce que Dieu dit, il faut le faire»

Les deux frères se plient à l’application stricte de la charia. Ils fréquentent la mosquée Dawa, place de Stalingrad, et dans une minuscule salle de prière, dans l’arrière-cour d’un foyer africain, rue d’Argonne (Paris XIXe). Redouane reste habillé à l’européenne, mais, dans sa tête, se soumet totalement à Allah. « Même avec nous, ses rapports ont changé, déclare l’un de ses amis. Il disait : Tout ce que Dieu dit, il faut le faire.»

Pendant quelques mois, les frères vivent de petits boulots. Redouane ouvre un commerce de restauration rapide à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), rue Gabriel-Péri. Boubaker fait, lui, les marchés à Paris, où il vend des vêtements. Les affaires ne sont pas florissantes.

Boubaker, qui s’est marié et a aujourd’hui un enfant de 7 mois, passe plus de temps en Syrie qu’à Paris. Et Redouane ferme son commerce, faute de clients. Boubaker, particulièrement engagé pour la cause islamiste, attire rapidement l’attention des renseignements généraux, qui place les frères sous surveillance, il y a un an et demi.

Les planques discrètes des enquêteurs permettent de constater des attroupements fréquents d’islamistes au pied de la passerelle, qui surplombe le canal Saint-Martin. Les deux frères fréquentent un autre groupe de fidèles, dont plusieurs seraient actuellement en Syrie. Selon une source proche du dossier, Abdelhakim Badjoudj, lui aussi mort en Irak, faisait partie des fréquentations régulières de Redouane et de son frère.

Au printemps dernier, Redouane disparaît du quartier. A sa mère, il dit être parti en Turquie pour aller acheter des vêtements. Les amis parisiens sont plus sceptiques : « On savait que Redouane et son frère voulaient aller en Irak, raconte l’un d’eux. Ils n’aiment pas les Américains et voulaient participer à la guerre. La mort n’avait pas d’importance pour eux. » « Redouane voulait combattre, on a essayé de le retenir, mais il était complètement endoctriné », confie la boulangère du quartier. Dans leur ancienne cité, la détermination des frères El Hakim inspire autant de respect que de crainte: « Peu de gens ont la foi comme eux, commente un jeune. Mais, là, c’est allé trop loin. »

Article publié sur le Parisien le 17/11/2004

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