Hommage à Jellal Ben Abdallah au Petit Carnot

Entre sa toute première oeuvre “Mariage de Nuit” (gouache sur papier) peinte en 1933 au Petit Carnot à l’âge de 12 ans, et “Marianne à Tunis” (acrylique sur papier) achevée il y’a quelques semaines à l’âge de 94 ans, une trentaine d’oeuvres d’un parcours de plus de 80 ans de l’artiste peintre Jellal Ben Abdallah est accrochée dans les murs de la nouvelle galerie de l’Institut Français de Tunisie: l’IFT qui vient de se loger dans cet ancien bâtiment où, caché du regard parental, le jeune autodidacte plonge dans l’univers pictural pour en devenir le maître de l’Ecole de Tunis.

L’exposition dont le vernissage officiel a eu lieu hier en fin d’après-midi en présence notamment de l’ambassadeur de France en Tunisie, François Gouyette, du directeur de l’IFT, Patrick Flot et du conseiller du Président de la République en charge des affaires culturelles, Hassan Arfaoui, s’est voulue un hommage à un ancien élève du Petit Carnot, devenu “un artiste du paradoxe, à la fois omniprésent et secret” comme l’a présenté François Gouyette.

Composée de miniatures mais aussi d’oeuvres monumentales, l’exposition baptisée “Le peintre d’un seul Tableau” est une occasion également de rappeler les connaisseurs et les moins avertis que Jellal Ben Abdallah, le miniaturiste “est à la fois auteur de muraux de céramique monumentaux et de fresques que chacun peut encore visiter à Paris, Bizerte, Gafsa, Monastir, dans de nombreux bâtiments publics”.

Avec “son travail prodigieux de la couleur dans les arrières plans, une iconographie savante et souvent d’une extraordinaire précision, ses nobles figures féminines nous renvoient à la fois aux images du passé antique et à une Tunisie contemporaine” a tenu à préciser l’ambassadeur.

Au beau milieu du “Souk des femmes” (stylo à bille sur papier, 1939, collection privée), ou le grand format “Fileuses et tisseuses” (huile sur toile, datée de 1964, 187×395 cm, collection de l’UBCI) ou encore “Femme aux poissons” (acrylique sur bois et feuille d’Or, collection de la BIAT), “on a encore sans doute trop peu exploré cette oeuvre dans sa profondeur et de la puissante séduction que celle-ci exerce sur nous” a ajouté le diplomate français.

Le Martyr, pièce maîtresse de l’exposition, témoin de l’engagement politique d’un artiste paradoxal

Cela dit, au-delà de ses portraits d’hommes au quotidien comme “Jeune pêcheur de l’épervier” (collection de l’ambassade de France en Tunisie) ou le “Portrait de Lahmar” (1939) et autant d’oeuvres qui témoignent d’un peintre engagé dans le monde qui lui est contemporain, sa production picturale “à faire découvrir mérite un autre regard en mettant remarquablement en valeur son engagement politique” a mentionné François Gouyette.

Accrochée au beau milieu de la galerie fraîchement installée dans les nouveaux locaux de l’IFT, “Le Martyr” (huile sur bois) réalisée en 1938 à l’âge de 17 ans, demeure incontestablement, la pièce maîtresse de l’exposition, affirme le commissaire de l’expo Ridha Moumni.

Considérée l’une des toiles les plus importantes des collections de l’Etat tunisien (collection du ministère de la culture et de la sauvegarde du patrimoine) cette toile peinte après les événements tragiques du 9 avril 1939 révèle la forte sensibilité de Jellal et son engagement politique précoce, a-t-il ajouté.

Ayant recours à une palette variée de supports -huile sur toile, acrylique sur bois ou sur toile ou feuille d’or, encre de chine, gouache sur papier…- son travail aborde diverses thématiques dont la source d’inspiration est le village de Sidi Bou Said où il est installé jusqu’à nos jours depuis 1939, lorsqu’il avait perdu sa grand-mère et ses parents.

“Le peintre d’un seul Tableau” et une production artistique estimée entre 7000 et 8000 oeuvres

Toutefois, explique Ridha Moumni, Jellal Ben Abdallah s’est toujours identifié comme le peintre d’un seul tableau en quête de l’excellence dans son art, et c’est d’ailleurs pourquoi, “on a gardé cette expression pour l’intitulé de l’exposition” explique le commissaire.

Durant son parcours, Jellal a jalonné sa carrière par une production artistique phénoménale estimée entre 7000 et 8000 oeuvres ce qui est quant même unique” confie-t-il à l’agence TAP.

L’idée de cette sélection d’oeuvres d’un peintre dont les miniatures ont dominé toute sa carrière et possédant des styles très différents notamment durant les premières années où il a énormément expérimenté dans le cubisme et le symbolisme, a-t-il ajouté, est de montrer des pièces très représentatives et de différentes époques.

Il s’agit aussi de faire découvrir un artiste qui, comme son ami le peintre Hatem El Mekki ayant rejoint les bancs du Petit Carnot, fait partie d’une génération qui s’est formée à une époque où la peinture n’était pas un métier conventionnel. Caché du regard paternel, il s’est lancé dans son art et n’a eu l’agrément de sa famille qu’en 1937.

L’exposition qui se poursuit jusqu’au 13 Juin et qui a été marquée jeudi par la présence notamment d’hommes de culture, d’artistes tunisiens et étrangers, galeristes et de représentants du ministère tunisien de la culture, est le fruit d’un projet qui est né à l’initiative d’Amine Bouker, auteur de la première et unique monographie dédiée au Peintre et intitulée “Jellal Ben Abdallah, sous l’artifice, la simplicité” (2013, Editions Ceres).

Le projet, a-t-il mentionné, consiste à regrouper des oeuvres qui appartiennent à des institutions publiques, une des nouveautés de cette exposition qui met en avant “une coopération entre l’IFT et l’Etat tunisien en faisant sortir au grand jour de véritables trésors aussi bien des collections du ministère de la culture que de l’ambassade de France mais aussi des oeuvres qui sont des collections privées, personnels du peintre lui-même et des partenaires de l’IFT dont les deux banques l’UBCI et la BIAT.

En effet, l’un des enjeux de l’exposition de cette sélection d’une “Oeuvre difficile à appréhender vu son importance, est de revisiter au début du 21ème siècle l’oeuvre d’un peintre majeur qui a marqué l’histoire des arts plastiques au 20ème siècle en Tunisie” a indiqué Ridha Moumni.

D’ailleurs, a ajouté Patrick Flot à l’agence TAP, “l’idée d’inaugurer la nouvelle galerie de l’IFT en mettant à l’honneur le maître de l’Ecole de Tunis est de monter dans nos murs, et pour la première fois, un véritable joyau du patrimoine pictural tunisien méconnu parce que peu vu pourtant d’un peintre connu et à découvrir”.

Cette exposition, , a-t-il signalé, s’inscrit également dans la logique naturelle de l’action culturelle et artistique de l’IFT : un espace de dialogue entre les cultures française et tunisienne.

La nouvelle galerie comme tous les autres espaces de l’IFT, accueillera d’une façon alternative aussi bien des jeunes talents tunisiens et français dans le mouvement contemporain mais aussi des artistes confirmés des deux pays dans ce dialogue entre le présent et le passé grâce à tous les pionniers qui ont jalonné l’histoire de l’art et de la peinture tunisienne comme Jellal Ben Abdallah (1921). Un artiste autodidacte, peintre, architecte, graveur, scénographe, poète, céramiste ayant laissé son emprunte dans la Bonbonnière lorsqu’il était décorateur pendant 13 ans depuis 1957 du Théâtre Municipal de Tunis.