Habib Mellakh de l’Université La Manouba : Voici, ce que nous a dit un salafiste “A la faculté, nous organisons des sit-in mais à l’extérieur, nous tuons et nous égorgeons”

Habib Mellakh, universitaire, syndicaliste du Département de français à la Faculté des Lettres de la Manouba raconte dans un article qu’il a publié sur la journée de terreur vécue autant par le cadre enseignant que par les étudiants qui passaient leurs examens. Un récit émouvant…

“Une rude et terrible journée Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent, jamais ceux qui les font. Les enseignants de la Faculté des lettres, des Arts, des Humanités de la Manouba (FLAHM) l’ont vérifié ce matin au moment du démarrage des examens et leurs doutes quant à la crédibilité des promesses ministérielles se sont avérés fondés.

Aucun des engagements pris par les autorités n’a été honoré. C’est le constat amer fait par les professeurs surveillants, par le service d’ordre composé de fonctionnaires et d’ouvriers appartenant à l’institution et aux établissements voisins et renforcé par des collègues à la retraite, par les anciens doyens venus soutenir leur faculté dans la dure épreuve qu’elle traverse.

Ni la promesse de la protéger par un dispositif de sécurité dissuasif aussi bien pour les personnes étrangères que pour les étudiants non concernés par les épreuves de la journée, ni celle d’obliger les sit-ineurs à l’évacuer n’ont été tenues pour des raisons obscures. C’est ce qui explique chez les sit-ineurs l’arrogance qu’ils ont affiché ce matin lorsque les différents cordons de sécurité chargés de l’ordre se sont déployés devant les départements, les amphithéâtres et les locaux des deux bibliothèques pour prévenir toute irruption des sit-ineurs dans ces espaces.

Voyant le brassard rouge arboré par les enseignants pour dénoncer les violences subies par les universitaires depuis deux mois, ils ont tenté vainement de les provoquer : – Mais pourquoi portent-ils le brassard ? Que Dieu les maudisse ! dit l’un. – Qu’ils aillent en enfer ! renchérit l’autre. Vers neuf heures, appelés en renfort par une étudiante qui a tenu coûte que coûte à passer l’épreuve sans se découvrir le visage, ils se sont dirigés vers le bâtiment abritant le département d’arabe et ont abreuvé d’injures les membres du cordon de sécurité placé devant ce pavillon, puis ils les ont menacés de mort ou d’égorgement.

Un jeune chômeur, après avoir proféré des menaces de mort il y a une quinzaine de jours à l’encontre de la directrice d’un département, récidive et s’adressant à deux collègues qui ont tenté de le calmer, leur dit : – A la faculté, nous organisons des sit-in mais à l’extérieur, nous tuons et nous égorgeons. Vous ne pourrez pas nous échapper, puisque nous vous filmons ! Puis, après avoir vainement tenté avec les autres membres du groupe des sit-ineurs de forcer l’entrée du bâtiment, il brise avec son brodequin le vitrage de la porte en aluminium pour essayer d’imposer le passage de deux étudiantes portant le niqàb.

L’un des débris de verre tranchants touche au visage monsieur Slah Torkhani, fonctionnaire au service des publications. La plaie profonde au menton, qui en a résulté, a nécessité quatre points de suture. Les sit-ineurs appellent ensuite des renforts de l’extérieur qui arrivent mais ils ne peuvent forcer la porte principale de la faculté en raison de la résistance héroïque du service d’ordre. Un jeune escalade la porte et tombe sans gravité. Pris par ce qui semble une crise d’épilepsie, il est transporté aux urgences pour être soigné. Mis hors d’état de nuire grâce à la vigilance des enseignants et leur acharnement à assurer le déroulement des examens, les sit-ineurs ne trouvent pas mieux, dans une nouvelle escalade, que d’occuper à nouveau le bâtiment qui abrite l’administration centrale et le bureau du doyen. Mais ayant constaté que les étudiantes portant le niqàb n’ont pas pu passer les épreuves de la matinée, ils n’essayent plus pendant l’après-midi d’imposer leur présence dans les salles d’examen. Cette terrible journée vécue par les enseignants de la Manouba leur a permis de prouver à l’opinion publique et aux autorités qu’ils sont prêts à tous les sacrifices pour que leurs 8000 étudiants qui sont leurs enfants puissent passer leurs examens et qu’ils sont intransigeants quand on veut leur confisquer leurs prérogatives. Grâce au dévouement de l’ensemble du personnel prêt à braver le danger, nos étudiants ont pu passer leurs examens sans avoir été inquiétés et ils ne se sont même pas rendu compte des incidents qui ont émaillé la journée. Il faut des nerfs d’acier et un calme olympien pour pouvoir supporter de pareilles épreuves. Mais les enseignants ne sont pas prêts à revivre la tension qui a caractérisé cette journée de démarrage. Ils sont certes décidés à braver les difficultés mais à l’impossible nul n’est tenu. C’est la conclusion qui ressort des débats qui ont eu lieu pendant l’assemblée générale syndicale tenue aujourd’hui pendant la pause, entre les deux séances d’examen de la journée.

C’est pourquoi les enseignants ont réitéré les exigences formulées et les avertissements lancés lors des précédentes réunions. Les contacts entre le secrétaire général de l’UGTT et le premier ministre d’une part et les démarches directes entreprises par le doyen auprès du ministre de l’intérieur ajoutés à la pression syndicale d’autre part, ont permis de lever le sit-in à dix huit heures, pour la troisième fois en l’espace de dix huit jours. Mais cette mesure sera inefficace si elle n’est pas accompagnée de la protection des environs de la faculté par un dispositif de sécurité à même d’empêcher les fauteurs en eau trouble de s’y introduire dans le but de perturber les examens.

Le communiqué du président de la république dénonçant les actes de violence qui ont émaillé le déroulement de la première journée ainsi que son appel à faire respecter le règlement intérieur de la faculté augure-t-il de la prise de ce genre de décisions ou bien s’agit-il de sa part d’une simple déclaration de principe et de vœux pieux puisque la gestion du dossier de l’éducation ne fait pas partie de ses prérogatives ? Nous le saurons pendant les prochaines heures lorsque les enseignants de la Manouba rejoindront leur faculté pour y assurer une deuxième journée de surveillance.

Habib Mellakh, universitaire, syndicaliste. Département de français, Faculté des Lettres de la Manouba (Tunisie)