Tunisie – Justice : Entre médias et délits de droit commun, les deux poids, deux mesures?

ben ticha - ben hamida -

Que de rigueur, quelle volonté de rendre justice ! Nous en sommes presque suffoqués ! Des juges réactifs et qui tranchent rapidement sans ambiguïté et en toute transparence ! Nous en avons rêvé et le tribunal de la Manouba, nous les a donnés!

Et pourtant, une faute professionnelle dans les médias est toujours possible, c’est également valable pour les juges, les médecins -là il s’agit de vies humaines- et aussi pour d’autres corps de métiers. Généralement, dans notre secteur, on exige un droit de réponse et si on veut pousser plus loin les choses, des dommages et intérêts.

Mais il a fallu que les journalistes cette fois-ci aient affaire à un certain Marzougui pour que la machine judiciaire bouge instantanément! Quel bonheur!

Les journalistes présents lors de l’émission politique diffusée sur «Al Hiwar Attounssi» le 15 mai 2015, ont reconnu leur erreur. Leur mea culpa, ils l’ont exprimé à l’ancien militant des droits de l’Homme : «Oui la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux a été truquée suite un montage se basant sur des déclarations publiques, et nous n’avons pas vérifié le contenu de bout en bout». Cette vidéo n’avait pourtant pas suscité autant de vagues lorsqu’elle faisait rage sur le net!

L’Instance de régulation du secteur audiovisuel (HAICA) en avait pris note et avait jugé, conformément à l’article 116, qu’il s’agit d’une faute professionnelle. Et c’est à ce titre là qu’elle n’a pas elle-même procédé au transfert de l’affaire au parquet pour instruction. Des excuses ont été présentées et l’émission a été retirée du web avec interdiction de rediffusion. Mais cela n’a pas été suffisant pour Marzouki, il a tenu à exercer son «droit» de porter plainte à l’encontre de ces journalistes.

Il faut reconnaître que cela fait beaucoup de publicité et lui permet de ne pas se faire oublier! Marzougui est dans la cohérence pour ce qui est d’être toujours présent sur la scène médiatique. En témoigne l’affaire «Oustoul al Horria»! Une tempête dans un verre d’eau!

Il y en a parmi nous qui ne peuvent pas vivre sans «réclame»!

Le pire dans toute cette affaire, c’est l’interdiction de voyage émise à l’encontre de Soufiène Ben Hmida, Hamza Belloumi et Noureddine Bentisha. Selon certains hommes de loi, dans ce genre d’écart, il n’y a pas de sanctions pénales dans le droit tunisien et pas d’articles de loi le justifiant surtout que les journalistes doivent être jugés conformément au code de la presse. Une amende pour diffusion de fausses nouvelles comme cela se passe partout dans le monde, c’est ce qui est généralement d’usage. Le parquet a ignoré le code de la presse et les concernés ont été considérés comme de dangereux criminels. L’interdiction de voyage serait une mesure préventive pour qu’ils ne quittent pas le pays. «Il est étonnant que des personnalités politiques ou économiques impliquées dans des affaires de contrebande, de détournement de fonds (des milliards) ou de corruption n’aient pas été touchées par cette mesure», dénonce Me Essid, l’avocat des prévenus dans l’affaire «Vidéo Marzouki».

Il est aussi étonnant que le parquet soit aussi pointilleux sur la consistance des dossiers qui doivent comprendre des preuves tangibles, concrètes et palpables lorsqu’ils concernent des terroristes ou de personnalités notoirement connus pour leur implication dans des affaires de terrorisme ou de malversations à l’échelle nationale et internationale, et réagisse au quart de tour dès qu’il s’agit de journalistes. Il y a la loi et un pouvoir discrétionnaire pour l’interpréter à sa guise, oui cela existe dans la Tunisie de l’après 14 janvier! Les journalistes qui n’ont pas de doubles nationalités ou des comptes en devises à l’étranger, les journalistes qui n’ont que la Tunisie pour patrie et leurs yeux pour pleurer l’état dans lequel se trouve leur pays pillé et terrorisé, peuvent-ils penser à s’enfuir! Impensable!

Notre parquet hautement patriotique considère-t-il qu’il faille sévir sur la scène médiatique et donner des exemples pour que l’on ne daigne jamais franchir les lignes rouges surtout s’agissant de certaines personnes dont les fans sont nombreux en Tunisie? Et pourquoi il n’a pas réagi aussi promptement lorsqu’un journaliste menacé dans sa vie a été cité nommément dans une réunion avec des milices libyennes par un opérateur privé tunisien? Sa vie vaut-elle moins que le fait d’avoir émis une vidéo manipulée par des internautes touchant à Marzougui?

Le pays plie sous le terrorisme et notre parquet s’inquiète d’un possible refus de comparution des journalistes devant le juge d’instruction! Un professionnalisme et un sens du devoir à couper le souffle ! D’autant plus que nos juges ont du pain sur la planche avec la propagation des délits de droit commun, du banditisme, grand banditisme et j’en passe !

La cerise sur le gâteau a été cependant celle d’Insaf Boughdiri, rédactrice en chef de l’émission, qui s’est présentée devant le juge en tant que témoin pour se retrouver accusée : «Je me suis présentée devant le juge d’instruction pensant témoigner, il s’est contenté de prendre acte de ma présence, de requérir mes données personnelles et m’a demandé si j’ai un avocat, ce qui n’était pas le cas. Il a formulé les accusations de falsification et de fraude à mon égard et a fixé la date de l’audition au 22 de ce mois-ci».

Pouvons-nous espérer un Etat de droit sans une justice juste, indépendante et équitable?

Depuis le 14 janvier, nous n’avons pas cessé de clamer notre confiance dans le système judiciaire et appelé à l’indépendance des juges. Juges qui doivent laisser de côté leurs convictions idéologiques ou leurs positions personnelles en examinant les affaires qui se présentent devant eux. Qu’est-ce qui fait dire dans ce cas, à Soufiane Ben Hmida, un journaliste connu pour son intégrité et son haut degré de professionnalisme «Il s’agit d’une affaire politisée, car la HAICA a pris les dispositions nécessaires à l’encontre de l’émission concernée»?

Quelles sont les positions de l’Association des magistrats, très active paraît-il au niveau des centres de décision judiciaire, celles du syndicat des magistrats ainsi que celles des ONG, des partis politiques et activistes et militants des droits de l’homme? Où est ce que la thématique “droit hommiste” serait juste un fonds de commerce où on puise des arguments purement électoralistes ou destructeurs de l’Etat?

Notre parquet serait-il lui aussi infiltré? Espérons que non car sinon que pouvons-nous attendre d’un pays où il n’y a plus de justice ou où la justice agit non pas dans le respect de l’esprit des lois, mais dans l’esprit du respect des «MOI»!

Amel Belhadj Ali