Les Tunisiens et la première guerre mondiale (1914 – 1918)

La première guerre mondiale fut le premier conflit où les Tunisiens furent incorporés dans l’armée française face à l’Allemagne et à ses alliés, dont la Turquie. En effet. lors de la guerre de Crimée en 1854. la Régence y participa en tant que province inféodée au Sultan de Constantinople conjointement avec la France et l’Angleterre contre la Russie.

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La loi organique de 1857, révisée le 7 février 1860, constituait le premier document établissant un service militaire obligatoire en Tunisie. Il instaurait une période active de 3 ans et une période de 7 ans dans la réserve pour tous les Tunisiens de confession musulmane à l’exception des jeunes gens titulaires du certificat de ta/eh délivré par la Djamaa Zitouna(1).

Après l’établissement du Protectorat, l’armée fut réduite à une garde beylicale en décembre 1883 comprenant 500 hommes répartis en une section d’infanterie, un peloton de cavalerie et une section d’artillerie sous le commandement de trois 0fficiers français: un chef de bataillon, un capitaine et un officier d’administration. Par contre, la loi du 31 décembre 1882 avait créé au sein du corps français d’occupation douze compagnies mixtes composées de Français et de Tunisiens et réparties dans les trois armes: infanterie, cavalerie et artillerie.

Chaque compagnie comprenait 10 officiers, 68 fantassins français, 144 fantas­sins tunisiens, 10 cavaliers français. 33 cavaliers tunisiens et 44 artilleurs français. Les militaires indigènes étaient soumis au code de justice de l’armée. Le contingent tunisien était incorporé soit dans la garde beylicale, soit dans les compagnies mixtes pour une durée de 3 ans.

Les bureaux de renseignements assuraient le recrutement par tirage au sort, une commission de révision, composée de civils et de militaires, vérifiait les opérations. Les membres de certaines tribus des territoires militaires du sud formaient les cavaliers des goums et se trouvaient exemptés du service normal; les habitants des grandes villes (Tunis, Sousse, Sfax) ainsi que les Israélites étaient exemptés en bloc ainsi que les diplômés du ta/eh, enfin. le remplacement administratif était admis.

La gendarmerie comportait égale­ment une minorité de Tunisiens: 16 pour 72 gendarmes français. L’ensemble de ces dispositions donnait bon an mal an un contingent annuel de 4 112 hommes, soit à peu près la moitié des hommes bons pour le service. Des engagements volontaires étaient prévus par la loi, ils étaient relativement peu nombreux et devaient en principe compenser le rempla­cement administratif (2).

La loi du 10 septembre 1883 confirma l’ensemble de cette procédure ainsi que celle du 12 janvier 1892. Dès le début de la guerre une série de décrets précisa les détails de l’incorporation pour la durée des hostilités :

-Décret beylical du 9 août 1914 rappelant sous les drapeaux les anciens militaires des classes 190r, 1902, 1903 et les libérables du rer janvier au rer août 1914. L’appel du contingent r9r4 était fixé au 1er septembre 1914. Le droit au remplacement administratif accordé par décret du 5 novembre 1902 était maintenu pour les jeunes gens du contingent 1914 jusqu’à la date du JO août 1914.

-Décret français du 10 août 1914 autorisant les Tunisiens à contracter un engagement pour toute la durée de la guerre à partir de l’âge de 17 ans, alors que la loi du 13 avril 1910 ne permettait un engagement que pour 3, 4 ou 5 ans.

-Arrêté résidentiel du 1 1 août 1914 établissant des forces supplétives sous le com­mandement du contrôleur civil dans chaque caïdat, ces goums étant l’augmentation provisoire du fait de la guerre des oudjaks insuffisants en personnel.

-Décret beylical du 12 septembre 1914 maintenant sous les drapeaux les appelés du contingent 1911, les militaires engagés étaient autorisés à contracter un nouvel engagement de 3 ans, une amnistie était prévue pour les déserteurs et insoumis concernant des faits antérieurs au 1er août 1914.

Le nombre total des Tunisiens ayant participé à ce conflit s’éleva à 80 339 hommes. 38 251 furent envoyés sur le front français formant 21 régiments mixtes de marche, 8 000 firent partie du corps expéditionnaire d’Orient. Les pertes s’élevèrent à 35 900 tués pour une population totale de 1 800 000 habitants y compris 60 000 Israélites (3).

Le 2 août 1914, à la déclaration de guerre, on comptait 7 500 Tunisiens aux armées et 4 400 stationnés en Afrique du Nord. Les engagés furent peu nombreux, 2 500 pour les 6 premiers mois de guerre, les échecs sur le front français en furent la cause principale malgré le versement d’une prime initiale de 200 francs et d’une prime semestrielle de 100 francs en plus des indemnités identiques à celles qui étaient versées aux militaires français.

Au 1er décembre 1917, soit un peu plus de 3 ans après le début du conflit, la Tunisie avait fourni 71 000 hommes se répartissant ainsi : 12 000 étaient sous les drapeaux à la déclaration de guerre, 14 100 rappelés, 3 900 engagés, 18 500 appelés pour les classes 14, 15, 16 et 17 auxquels il faut ajouter 10 300 travailleurs coloniaux et 12 000 ouvriers agricoles qui constituaient les ajournés de 1917 (4).

Notes

(1) RONCIÈRE (Amédée)- La Tunisie. Paris. Challamel. 1881. (2) Arch. Vincennes – 7 !’1 1209.

(3) On compta en outre 129 000 blessés. certains ayant eu plusieurs blessures successives . Arch. Vin.7 N 1209.

(4) Les travailleurs coloniaux étaient destinés à remplacer en France les hommes mobilisés. ils étaient répartis dans les secteurs agricoles ct industriels. Les réquisitionnés comme travailleurs agricoles assuraient les travaux ruraux dans la même raison de remplacement.

Par François Arnoulet

Extrait de la revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée