Tunisie : Appel à modifier le projet de loi antiterroriste

Les législateurs tunisiens devraient réviser le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme pour le rendre pleinement compatible avec les normes internationales concernant le droit à un procès équitable, au respect de la vie privée et à la liberté d’expression, a déclaré Human Rights Watch dans un communiqué rendu public lundi.

Un projet de loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent est actuellement en cours d’examen au sein de la commission parlementaire de législation générale et celle des droits, des libertés et des relations extérieures. Les deux commissions viennent d’entamer une deuxième lecture du texte.

Analysant le projet de loi, HRW a estimé dans un rapport publié aujourd’hui, que le projet « conserve certaines des dispositions les plus troublantes » de la loi de 2003.

Selon l’organisation, la loi antiterroriste de 2003, a été utilisée par l’ancien régime pendant des années « pour étouffer la dissidence en limitant la liberté d’expression, d’association et de réunion ».

Le projet de loi comprend des dispositions qui continuent à associer la dissidence politique au terrorisme et confèrent aux juges de trop larges pouvoirs pour ordonner des procédures dérogatoires tout en réduisant la capacité des avocats à fournir une défense efficace, a soutenu l’organisation.

En outre, souligne-t-elle, le projet n’offre pas un contrôle judiciaire suffisant sur l’autorité de la police et son interférence dans la vie privée des personnes devant répondre d’actes de terrorisme.

L’expérience de la dernière décennie montre que les lois relatives à la lutte antiterroriste formulées en termes vagues et en l’absence de garanties, peuvent causer des violations terribles et engendrer la haine et un cycle d’autres exactions, a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW, cité dans le même communiqué. Sous le régime de Ben Ali, les autorités ont mené des poursuites contre bien plus de 3 000 personnes dans le cadre de la loi de 2003, a rappelé HRW.

Pour elle, le nouveau projet de loi sur la lutte contre le terrorisme contient plusieurs améliorations par rapport à l’ancienne loi.

Le projet prévoit des réparations aux victimes du terrorisme, notamment la gratuité des soins de santé dans les hôpitaux publics et l’assistance judiciaire. Il prévoit aussi la création d’une commission comprenant des représentants des ministères concernés dirigée par un magistrat, afin d’élaborer une stratégie exhaustive de lutte contre le terrorisme à travers l’éducation et d’autres moyens, argumente l’organisation.

La loi interdit également aux autorités d’extrader ou d’expulser vers un autre pays une personne accusée de terrorisme quand il existe des risques sérieux que cette personne y serait confrontée à la torture ou à des traitements inhumains. Cependant, déplore HRW, le projet comporte encore une définition vague et ambiguë de l’activité terroriste qui pourrait permettre au gouvernement de réprimer un large éventail de libertés protégées à l’échelle internationale.

Par exemple, le projet risque d’être utilisé pour poursuivre comme un acte terroriste une manifestation publique pouvant « nuire à la propriété privée et publique » ou perturber des services publics. Par ailleurs, estime l’organisation, le projet de loi ne contient pas de garanties suffisantes contre l’atteinte au droit à la vie privée en autorisant la surveillance.

« Plutôt que de placer les décisions de surveillance sous le contrôle exclusif de juges indépendants, il (le projet de loi) confère le pouvoir d’ordonner de telles mesures aux procureurs, qui sont encore liés au pouvoir exécutif en vertu de la loi tunisienne ».

Les législateurs tunisiens, propose HRW, devraient retirer du projet les infractions formulées de façon vague telles que « l’atteinte à la propriété publique ou privée » et « nuire aux moyens de transport, aux réseaux de communication, à l’information et aux systèmes informatiques ou aux établissements publics».

Ils devraient, d’après l’organisation, veiller à ce que tous les crimes, notamment les crimes de terrorisme, soient clairement et strictement définis dans les lois du pays, afin que les personnes soient en mesure d’apprécier si un acte spécifique constitue un crime.

« La Tunisie a été un chef de file dans la région en matière de réformes fondées sur les droits et elle doit jouer le même rôle dans la lutte contre le terrorisme », a conclu Eric Goldstein.