Chronique : Des poids et des mesures en poids plumes mais ça dépend pour qui!

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«Malgré quelques progrès, les efforts en faveur d’une justice de transition et de la garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire n’ont pas encore porté leurs fruits et les mesures […] relatives aux droits humains sont insuffisantes». Ces propos sont tirés du rapport sur la Tunisie qu’Amnesty International vient de publier.

Malgré certaines avancées, la Tunisie a-t-elle fait un pas en avant pour mieux reculer?

Si Amina la «Femen» tunisienne, a écopé d’une amende en attendant un procès bis, Jaber El Mejri croule en prison depuis le 5 mars 2012. A 29 ans, ce ne sont pas ses rêves qui le rendent fou de joie et d’énergie mais bel et bien le chômage qui plombe son quotidien. La vie virtuelle est alors un recours et comme des centaines de milliers de jeunes, il s’y active. La «révolution» du 14 janvier lui donne des ailes et il laisse exploser ses idées, sa liberté…

Il publie sur sa page des caricatures et des propos, considérés provocants contre l’Islam. Le procès et la condamnation ne tardent pas. Le verdict est lourd : Sept ans et demi de prison ! Le chef d’inculpation se résume à la publication de documents qui sont de nature à «perturber l’ordre public et à nuire aux bonnes mœurs», et ce en vertu d’un article du Code pénal qui stipule que toute personne portant atteinte aux bonnes mœurs qui s’est «sciemment rendu coupable d’outrage à la pudeur» est passible d’une peine d’emprisonnement…

Dans son jugement, le tribunal s’est basé sur les dispositions de l’Article 121 ter et 226 bis du Code pénal et de l’Article 81 du Code des télécommunications.

Ces textes étaient l’instrument légal de répression auquel recourrait l’ancien régime pour opprimer ses opposants politiques d’antan et dont une grande partie est au pouvoir désormais ont été poursuivis et jugés. Cela fait dire à Sarah Leah Whitson, directrice de la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch que «Tant que ces lois répressives de l’ère Ben Ali sont en vigueur, les autorités seront tentées de les utiliser à chaque fois que cela les arrange politiquement». Et en matière de politique, c’est vraiment un brouhaha total si ce n’est une gabegie!

Pour l’avocat du jeune Mahdois qui est aussi plaignant, il ne fait aucun doute que «cette affaire n’a rien à voir avec la liberté d’expression, car les accusés ont outrepassé leur liberté d’expression en portant atteinte aux sentiments d’autrui». Il rajoute «… De toute façon, leur condamnation n’est rien à côté de ce que voudraient leur infliger d’autres personnes, comme les salafistes dont certains veulent les tuer. En fait, actuellement, la prison est une protection pour Mejri». Etrange façon de voir et de justifier les choses!

Va-t-on emprisonner les gens pour les protéger contre ceux qui veulent “se“ faire justice eux-mêmes et ne reconnaissent ni l’Etat ni ses lois? Va-t-on laisser la liberté à ceux qui ont brûlé des «zaouiyas» et ont heurté les sentiments d’autrui? Va-t-on laisser le crime de Chokri Belaid non élucidé alors que l’actuel chef du gouvernement, ministre de l’Intérieure à l’époque du crime, avait désigné les assassins provoquant le marasme socio-politico-économique qui s’en est suivi?

Peut-on en dire autant de ceux qui ont saccagé les œuvres d’art au Palais «El Abdellia» et qui s’en sont sortis avec un mois de prison pour quelques-uns et un non lieu pour les autres? Peut-on en dire autant des deux ans avec sursis dont ont écopé les attaquants de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Tunis? Avec pareils verdicts, qui cherche-t-on à encourager et à disculper?

Deux poids, deux mesures? Non, divers poids et des mesures en poids plumes mais ça dépend pour qui!

Or c’est cela même qui est à la base du malaise qui s’installe en Tunisie. La justice poursuit ce qui «choque» mais pourquoi privilégie-t-elle systématiquement les baisers volés, les unes de journaux suggestives, les films qui osent…?

Pourquoi ne traite-elle pas avec la même célérité les prêches haineuses, les appels au meurtre, les actes de vandalisme, les bandes armées qui se substituent aux forces de l’ordre, les politiques qui encouragent la haine et envoient la jeunesse à la mort, le lynchage…?