Chronique : Vous avez dit la «Grinta»?

La rage de vaincre est importante. Mais non suffisante. « Une expression de gens du Sud », nous dit cet enseignant de sociologie à la Faculté des Lettres et des sciences humaines de La Manouba, fruit d’ « une culture qui fait la part belle aux sentiments et sans doute au surnaturel ». « A moins que cela serve pour commercialiser une soda ! », fait-il remarquer non sans humour un autre universitaire spécialisé en sport.

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Les Tunisiens ont beau avoir quitté jeudi 29 janvier 2013 leur travail plutôt que d’habitude. En témoigne l’intensité du trafic sur les routes de toutes les villes de Tunisie entre 16 heures et 18 heures avec le tintamarre habituel des klaxons et parfois d’excès de vitesses. Rien n’y fait : l’équipe nationale tunisienne a échoué face au Togo.

Ni l’arbitre sud africain, qui a favorisé les poulains du coach Sami Trabelsi, ni encore la « Grinta » n’ont permis aux coéquipiers de Youssef M’sakni de passer le cap du premier tour de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football.

Idem, lorsque le 20 janvier 2013 l’équipe de Tunisie de handball n’a pas réussi aller plus loin que le second tour. Mieux structurée, plus aguerrie, l’équipe du Danemark, qui est allée jusqu’en finale , a pris le dessus sur une équipe à laquelle la « Grinta » n’a finalement pas beaucoup servi.

Drôle de mot que celui de « Grinta », d’origine italienne, il signifie tout simplement la rage de vaincre. Utilisé dans le domaine du sport, il est synonyme d’une motivation exacerbée, d’une détermination qui frôle l’agressivité. C’est du moins ce que nous disent des dictionnaires qui ont fini par adopter ce mot.

Les joueurs «avaient» dans leurs jambes

«Une expression de gens du Sud », nous dit cet enseignant de sociologie à la Faculté des Lettres et des sciences humaines de La Manouba, fruit d’ « une culture qui fait la part belle aux sentiments et sans doute au surnaturel ».

Un prolongement de croyances qui mettent en évidence le rôle « de l’accessoire par rapport à l’essentiel : l’effort, l’organisation, la planification, la méthode, la discipline,… ». « Cela me rappelle, lance notre interlocuteur, des étudiants qui ne travaillent pas assez tout le long de l’année et qui s’attendent à ce que le jour de l’examen le savoir leur tombe du ciel. »

Jugement sévère ? « Pas tout à fait », nous assure cet universitaire de l’INEPS (Institut National de l’Education Physique et du Sport) de Kasser Saïd, qui a également entraîné une équipe dans le civil. Pour ce dernier cette mise en évidence de la « Grinta » cache des croyances qui minimisent un tant soit peu le rôle du travail et de l’abnégation.

Pour lui, l’affaire est claire : si un joueur n’est pas préparé physiquement et tactiquement, on n’y peut rien. Explication : « Si un joueur n’a pas le physique pour faire deux heures, il peut avoir le meilleur mental du monde, c’est foutu. » Il poursuit : « S’il n’a pas des jambes ou des bras capables d’envoyer un ballon à trente ou dix mètres, la « Grinta » n’y fera rien. » Il insiste : « Et s’il n’arrive à se placer sur une surface en fonction d’un schéma donné, on ne fera pas de succès. »

Notre universitaire reconnaît cependant l’importance du mental : « Les hommes se déterminent en fonction de valeurs. Celles qui favorisent l’effort, l’abnégation, voire le sacrifice sont importantes, mais non suffisantes. »

«Mes joueurs se sont découragés trop vite»

« Je ne sais pas si l’épisode est vrai, mais on raconte qu’un coach national est venu avec le drapeau du pays pour stimuler les joueurs à la mi-temps. Ils sont sortis gonflés à bloc des vestiaires et ont fini par renverser la vapeur dans la seconde mi-temps. Mais, la « Grinta » n’était pas la seule explication : les joueurs « avaient », comme on dit, dans leurs jambes », souligne-t-il.

Les sportifs tunisiens sont, et quoi qu’on dise, sur ce terrain, d’ailleurs, fragiles. « Il arrive souvent qu’ils lâchent prise lorsqu’ils sont dominés. Combien de rencontres n’ai-je pas perdu parce mes joueurs se sont découragés trop vite. Je n’ai jamais vu un joueur tenir, comme le font, par exemple, les Allemands et les Serbes, jusqu’au bout quel que soit le résultat », lance notre interlocuteur.
En conclusion : axer tout sur la « Grinta » c’est faux. « A moins que cela serve pour commercialiser une soda ! », fait-il remarquer non sans humour.

Par Mohamed Farouk