Tunisie… en liberté provisoire?

Quand le drapeau ressoude le peuple. Quand l’individualité tunisienne prime sur l’identité des origines. La tentative de récupération de la révolution est mise en échec.

Deux combats violents, contrés par deux ripostes individuelles, spontanées, singulières, viennent recadrer le projet de la deuxième République, aux couleurs locales. Le sursaut de nationalisme qui a suivi l’atteinte au drapeau signifie le rejet de tout modèle de société importé. La greffe n’a pas pris. Mais, cela va-t-il dissuader ses auteurs? Et la transition démocratique dans notre pays est-elle hors de danger?

Habib Kasdaghli, ce héros

On le voyait s’escrimer, face à des envahisseurs belliqueux, de sa manière polie et policée. On le regardait repousser la violence, avec détermination. Seul, dans l’œil du cyclone, il a empêché le naufrage de l’université. Face à cette razzia des libertés et de mise à sac de la pensée, il n’en est resté qu’un et il a été celui-là. Tel le héros de Victor Hugo, il ne s’est pas dérobé. Il a protégé l’institution la plus représentative de la Tunisie de l’indépendance.

L’enceinte, dédiée à la pensée libre et à la création, ne sera pas aliénée par la ferveur et la dévotion. Légaliste, il a invoqué la loi de la République pour stopper l’idéologie de la légitimité de piété. Le Conseil scientifique a validé. Le tribunal administratif a authentifié. Mais l’opinion reste distante et les institutions semblent s’en laver les mains. Dans l’épreuve, il continue à résister et l’université à s’auto-défendre. Et même si les institutions ne l’ont pas aidé à inscrire sa victoire sur le terrain, car la franchise universitaire est encore bafouée, il est encore à la manœuvre, et n’abandonne pas le vaisseau.

On cherche encore à le faire plier. Il ne cède pas. On veut l’ébranler, mais on ne parvient toujours pas à le casser.

L’enceinte universitaire ne sera pas profanée. L’affrontement à l’université prend une valeur de test de résistance pour la transition démocratique et nos institutions phares. Cette digue de la liberté cèderait et c’est tout l’espace public qui mordrait la poussière. La foi de Habib Kasdaghli a fait des miracles puisqu’elle a poussé les envahisseurs jusqu’au bout de leur projet, dévoilant toute l’étendue de leur machination. Les masques sont tombés. Un projet a été mis à nu. A l’inverse de Dom Quichotte, ce personnage mythique de Miguel de Cervantès, il ne s’est pas battu contre des moulins à vent mais contre les vents mauvais qui voulaient faire dérailler la transition démocratique et démanteler nos institutions phares, pour s’emparer de l’épave de l’Etat.

Khaoula R’Chidi, une âme bien née

On la voit accomplir la scène de bravoure qui marquera désormais nos esprits. Elle a empêché que l’immonde se réalise. Devant la barbarie, elle s’est exposée. Elle a accepté de payer de sa personne. Elle s’est dressée, frêle mais inflexible, à mains nues mais blindée de l’amour de la patrie, ardente et électrisée par cet échos lointain et millénaire refusant l’infamie «la mort plutôt que la honte».

Montée contre l’ignominie, elle a empêché que l’on efface notre personnalité tunisienne. L’odeur de la poudre ne la rebute pas. Elle ne veut pas de cette bannière, importée. Et, nous faisons bloc, derrière elle. Notre respect est total pour les inscriptions portées sur cet étendard. Mais ce dernier n’en demeure pas moins étrange et on nous l’impose d’ailleurs. C’est vrai qu’il y est, mais est-il la trace des origines de notre identité? Peut-être! Mais notre sang a été versé pour symboliser notre personnalité tunisienne, et inscrire un patrimoine national propre. De fait, cette substitution d’emblème apparaît comme un ralliement au parti de l’étranger. Dans ces conditions, de quelle fidélité aux martyrs peut-on se prévaloir? Khaoula R’chidi a tout juste vingt ans. Mais aux âmes bien nées, sur cette bonne vieille terre de la Tunisie libre, notre œuvre historique, notre dénominateur commun, la valeur n’attend point le nombre des années.

Ils ont redoré notre blason et notre ego national

Il a personnifié le courage, elle a symbolisé le patriotisme. Deux mousquetaires, deux samouraïs, deux nouvelles icones de la liberté, qui habiteront notre panthéon. En défendant l’université aujourd’hui, Habib Kasdaghli protègera la Constitution, demain.

Une université libre, dégagée de la mainmise de la dévotion, c’est l’Article premier qui est sauvé. Nous n’aurons pas un Etat musulman mais on continuera à être cette Tunisie dont la religion est l’Islam. Khaoula R’Chidi s’est dressée face à un projet qui s’apprête à fossoyer le Code du Statut Personnel et la dignité de la femme. Elle l’a stoppé. Tous deux feront-ils reculer cette vaste machination. On attend pour voir.

A un journaliste étranger qui lui demandait s’il ne craignait pas pour la Tunisie après sa mort, Bourguiba avait répondu: «j’ai construit un édifice solide». Subissant des frappes chirurgicales sur les deux piliers qui soutiennent l’édifice, à savoir la liberté de pensée et la dignité de la femme, la Tunisie pour l’instant, résiste bien. Le combat n’est pas pour autant terminé! Alors vigilance!

Par Ali Abdessalem

Aritcle publié sur WMC, le 10 mars 2012